La nuit ne se tait pas, Danièle Corre
La nuit ne se tait pas, Éditions Tensing, 2013, 87 pages, 9 €
Ecrivain(s): Danièle Corre
Paru aux Éditions Tensing en 2013,La nuit ne se tait pasde Danièle Corre accueille en ses lignes vives l’obscurité lumineuse sous-tendant la toile nocturne. Toile tendue dans l’écoute d’une écriture elle-même lumineuse (ainsi que Charles Dobzynski qualifia l’écriture de la poète dans Aujourd’hui poèmeen octobre 2006).
Les mots de Georges-Emmanuel Clancier cités en exergue, extraits de Vive fut l’aventure, en appellent à la Terre et sa lumière (« Terre/ ta lumière// qu’elles’étende/ de cercle/ en cercle/ sans fin// et chante »). Vêtus d’impatience nous tentons, écrit Danièle Corre, d’« égratigner de lumière/ nos pans de nuits », besogneux d’un espoir incessant, tous nos sens à l’affût, nous tenant inlassablement à chaque jour recommencé « sur une nouvelle parcelled’espace / une autre plate-forme du temps ». Le souffle de nos veilles est semblable à cette lueur que l’appel d’air n’étouffe pas, qu’un excès d’oxygène ou d’attente suffirait à consumer ou éteindre. Au cœur de La nuit(qui) ne se tait pas, l’étincelle d’un souffle soutient nos regards, parcourant les palpitations d’une douceur d’être
« Se pourrait-il qu’une halte
retienne mon souffle
et l’apaise
comme en ces soirs où il se ramifiait
dans les visages sous la lampe »,
écrit la poète.
Si La nuit ne se tait pas, c’est que le souffle apaisé d’une âme peut l’accueillir en sa retenue pour en écouter les vagues, le chant, les appels comme, dans la mémoire et le silence d’une marée, se soulève déjà « la premièrevague/ dessillant les mirages ». Le « cœur en charpie » peut trouver à se désaltérer dans le creux des ressacs, comme continuer de s’écharper dans les remous d’une nuit qui remue imperceptiblement mais sensiblement, régulant la précipitation ou le vacarme de son cours sur l’arête : la crête vive des choses, à l’instar de cette
« Mer localement grosse
à la pointe de Bretagne
de tous les sanglots jetés
avec les griffes de genêts
devenant agitée à forte
brassant les débris
d’ardoise où se déchire
le souvenir.
Visibilité intacte
sur l’arête des roches
et les gestes de cruauté ».
Redevenant calme cette mer, comme la nuit, redeviendra source d’apaisement pour qui la regarde.
Acmé, la nuit éclaire nos tourmentes. Élucide nos forces fragiles en en soulignant les contours.
Lucarne bleue ouverte sur l’invisible nocturne, cet opus de la poète Danièle Corre entrouvre les taillis de l’obscur et aère, « sourire aux lèvres » des mots, les broussailles du regard et du cœur pour que s’activent les vigies de la bienveillance, l’avancée plus claire de nos routes semées d’embûches et de talus que nous approcherons, pour y « défaire les sanglots/ dans les bras du vent ».
Déployée dans une poésie cosmique – en résonance avec nos états d’hommes et de femmes guettant des fenêtres ardentes (déjà entrouvertes, imprévues ou imprévisibles, encore inconnues, serties dans l’écrin de la nuit) ; tisserands filant leurs histoires de vie « à grands points de nuit » avec « leurs échappées / de surprise, leur lucarne /ouvertes/ sur le ciel », tout en « cré(ant) des jours/ sous les doigts » – la parole de Danièle Corre sort des tiroirs fermés l’éventail des souvenirs tout en ouvrant celui d’un avenir plus clair. Éventail de paysages et de routes, de contrées remises ou inédites, « éclaboussé d’oiseaux,/ avec ses veines de fleuves,/ ses froncements de roche, / où les doigts courent
rappeler à la peau
son épaisseur de caresse,
la vie que le temps
greffe ».
Enfouis et recueillis nous nous tenons au plus proche de la nuit sur ses pages d’une écriture frémissante traversée de strates, de points croisés et de chutes, de sourires et d’éclaboussures, debout, « mains agrippées /à des falaises de silence/ yeux grands ouverts » attentifs au chant de ses murmures comme
« Être à l’effilochée
dans des bouts de sommeil
et des morceaux d’histoire
où rien n’est à reprendre »
Dans son dénuement l’épure de la nuit nous révèle à nous-mêmes, dans la nudité vraie d’être soi. Profondément, intensément, concisément, à la fois en son expérience et par le truchement des mots. Si la nuit ne se tait pas, la parole poétique en délivre ici les orgues profondes.
La nuit ne se tait pasressemble (à l’image de la couleur dominante de sa 1èrede couverture) à une lucarne bleue dont une lueur permanente ou résurgente éclairerait les pages blanches comme des pans de la nuit, que la poésie adoucit jusqu’à faire trembler les sentinelles de nos cadastres d’existants aux parcelles d’être délimitées, exposées aux « hordes du monde en feu ». Face au risque du Vivre, être deux sauverait la mise, du moins sauvegarderait une ferveur salvatrice. Si La nuit qui ne se tait paspeut faire se cogner l’alerte « de tous ses gonds/ aux parois du sang », la vie à deux en fortifie la digue où s’y accrocher pour, fragiles et forts comme des falaises, « user/ follement nos forces » face aux tempêtes du Dehors.
Murielle Compère-Demarcy
- Vu : 1921