La nuit, Nasser-Edine Boucheqif (par Didier Ayres)
La nuit, Nasser-Edine Boucheqif, éd. Al Mawkib Al Adabi, Maroc, 2017
Nuit mystérieuse
Je me fais l’écho d’un livre paru en 2017, parce que parmi les livres que je lis il représente une voix singulière, une sorte de voix de la nuit, du reste plus une nuit physique que mystique. Cependant, le mystère de la nuit de l’auteur me reste énigmatique. Je n’ai pas percé le secret du livre, ce qui en un sens est signe de richesse et de profondeur. Ainsi, la nuit ici est pensée comme une nuit d’insomnie, une nuit qui viendrait buter sur l’éveil, un éveil du petit matin, un éveil du rêve, un éveil du cauchemar brûlant au milieu du sommeil.
La révélation est peut-être là, dans la question du sommeil, dans l’intrigue de dormir, sachant que dormir est sujet à fables, à récits, et que la manière de s’endormir prête au dormeur plusieurs questions renouvelées par le cycle de la léthargie, de l’appesantissement charnel de l’obscurité. La nuit se constitue dès lors comme moment défini par ce qui lui fait limite, finalité, comme le blanc s’oppose au noir, la forêt à la clairière, l’ombre comme fin de la lumière, crépuscule qui découpe le jour.
Éveille-toi
il y a une multitude d’oiseaux
bigarrés
éveille-moi pour voir ces
lumières
resplendissantes toujours
fidèles
augurales comme aux temps des mages
Chaldéens
comme au temps de Qais et
Leila…
à les regarder je ne me sens plus de ce monde
éphémère.
Et le demi-sommeil, cette demi-acuité, cet entre-deux de l’ombre où plongent minuit et son insomnie, n’empêchent nullement de se préoccuper du monde, et bien plus, permettent de faire écho au tremblement des faits humains, tel que le définit très clairement Édouard Glissant. Donc, dormir, rêver, faire un cauchemar alors que la réalité confine elle-même au cauchemar, n’est pas une position individualiste ni égoïste. C’est plutôt une manière de vivre le monde et sa nature nerveuse, de faire face aux événements mais depuis le for intérieur, de ployer comme chacun sous le poids de l’univers, sorte d’Atlas angoissé et nocturne.
La nuit est entrée
ils arrivent
affluent de partout
les masques de l’épouvante
poussent
marchent comme de vulgaires hélices
pour ne pas tomber.
Vois-tu
on massacre nos rêves.
En somme le poète est toujours à l’écoute de la vie, de ce qui fait parfois la douleur des autres, leur drame. Et ainsi, il fait face à sa propre schize, à la coupure nécessaire à la création d’une voix poétique. L’univers de N-E Boucheqif laisse une impression de menace, l’impression martiale d’une vie nocturne habitée des humains et de leur souffrance. Il est donc utile de parcourir avec l’auteur sa propre part de mystère.
Didier Ayres
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