La nuit de Zelemta, René-Victor Pilhes
La nuit de Zelemta, janvier 2016, 185 pages, 17,50 €
Ecrivain(s): René-Victor Pilhes Edition: Albin Michel
Trois personnages sont présents dans ce roman : Jean-Michel Leutier, élève au lycée Pierre-de-Fremat à Toulouse durant l’année 1953. Il est pensionnaire, originaire d’Algérie, de Ain-Temouchent en Oranie, localité située entre Sidi Bel Abbès et Béni Saf, d’où sa mère est native. Son père l’a envoyé en France où il retrouve à Albi une de ses sœurs, institutrice. Il tombe amoureux d’une jeune Albigeoise, Rolande Jouli, sœur de Jacques, son meilleur ami de lycée.
Le deuxième est Abane Ramdane, l’un des chefs historiques du FLN, qui a participé au déclenchement de l’insurrection de 1954, et a été emprisonné à plusieurs reprises dans différentes prisons en Algérie et en France, puis transféré à Albi en 1953.
Le troisième personnage est le « petit curé », sobriquet donné par Jean-Michel Leutier à l’aumônier de son régiment où il accomplit son service militaire, comme officier, en 1957 dans la région de Zelemta. Tout le roman est articulé autour des récits respectifs de ces derniers, avec retours en arrière, mises en perspective et en abyme.
Le grand intérêt du roman est d’illustrer le rôle de l’histoire dans la vie des individus, de présenter de nouvelles visions sur la représentation que les Français d’Algérie avaient des mouvements algériens de libération ; ce roman met aussi en évidence le manque d’intérêt des Français de métropole pour les départements français d’Algérie, terre lointaine : « L’Algérie, oui, c’était une partie rose sur la carte de l’outre-mer ; mais ce n’était que ça. Non, décidément, ce n’était pas l’Alsace et la Lorraine ».
Ce qui est aussi mis en évidence, c’est l’ébranlement occasionné dans la conscience de ce jeune lycéen, dont la mère de sa fiancée accomplit des visites en prison. Il l’accompagne et y rencontre Abane Ramdane. Suit une série d’échanges et de conversations décisives sur les motivations d’Abane Ramdane, l’avenir des européens en Algérie, la force de conviction de ce dernier, immense. Après ces entretiens avec Abane, notre jeune lycéen en vient à douter : et si les copains arabes qui jouent au foot avec lui n’étaient plus loyaux, mais complices des terroristes du FLN ?
Et voici que, pour la première fois, il se posait une question : pourquoi appeler le « Douar » cette cité Moulay Sidi Said ? Pourquoi n’avait-on pas baptisé leur équipe de foot les « Moulay » par exemple ? Les « Moulay » contre les « Château d’eau ? ».
Tous ces échanges contribuent à former chez Jean-Michel Leutier le syndrome d’Abane, que l’on peut faire équivaloir à un doute terrible sur le bien-fondé de ses propres prises de position sur l’Algérie, et sur le statut de ce pays.
Il y a aussi dans ce roman la description des pouvoirs de la conscience de ce jeune officier en Algérie, en pleine guerre, qu’est devenu Jean-Michel Leutier, qui retrouve en 1957 Abane, en train de fuir vers le Maroc, et le laisse partir car il estime que sa capture n’inverserait pas le cours de l’histoire…
Le petit curé qui récite l’absoute aux obsèques de Jean-Michel Leutier tué le 8 janvier 1961 au combat, se souvient des lectures du lieutenant, parmi lesquelles une citation du Mythe de Sysiphe d’Albert Camus : « L’instant du désespoir est unique, pur, sûr de lui-même, sans pitié dans les conséquences, son pouvoir est sans merci ».
Stéphane Bret
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