La Nuit de Gigi, Dominique Dussidour (par Gilles Cervera)
La Nuit de Gigi, Dominique Dussidour, La Table Ronde, avril 2022, 272 pages, 20 €
Edition: La Table Ronde
La nuit et les jours
Le livre La Nuit de Gigi n’est pas à lire seulement parce que Dominique Dussidour est morte peu après avoir posé son point final. Pas non plus parce que le livre livre la mort, noyade infinie, fleuve sombre, Léthé, Styx ou Seine, mais bel et bien à lire parce que le livre s’illumine du vivant.
Les conversations nombreuses, infinies, adolescentes, futiles et sensibles sont des dialogues qui vibrent l’aujourd’hui. On sent la vapoteuse tout parmi ou les effluves par moment de joints qui flottent.
Les escarmouches sont vives, acides, les effusions l’emportent mais l’une et l’autre sont surtout nimbées d’une fraternité, amoureuse, amicale, on aurait dit bien avant camarade.
Le roman déroule une cour parisienne. Un quartier. La rue bien nommée des Martyrs et ses bars-tabacs célèbres. Le récit est, c’est là que Dussidour innove, jeune. On dirait djeun si ce n’était carrément démodé !
Sans esbrouffe, sans malignité non plus, ni faux semblant.
Gabrielle est la fille de Gigi. Elle est puissante comme sa mère qui l’a engendrée d’un trio compagnonnique adolescent. La fille d’un improbable père qui peut avoir deux prénoms, deux sangs, deux origines, deux ADN ! Il est dit que les mères sont trop jeunes quand elles accouchent, et alors ? Le duo mère-fille est passé aussi au scanner de la vie ordinaire et Gigi aime trop, peut-on le dire, la courée de Gabrielle et de ses camarades. Léo, Lola et Honoré. Sa couvée !
On est entraîné dans la ronde. Le lecteur est pris dans la bande, jusqu’à ce que le vent tourne, par l’absence de Gabrielle.
Le vide que ça fait.
Et son mystère. L’installation du mystère est douce, comme suspendue aux indices vitaux, au grand-père notamment, le père de Gigi, amoureux des livres et dont un bord du corps et de l’âme est resté dans la guerre d’Algérie. Lui est vieux le vieil Henri, il meurt donc dans l’ordre et c’est là l’indice principal. Il y a la mort comme le nez au milieu de la figure. La mort à fond dans la vie. Il y a la peur dans la joie, on ne peut pas ne pas penser au cancer qui est en train d’emporter l’auteure.
Gabrielle ne vient pas au vernissage d’Honoré. Léo et Lola étaient sûrs qu’ils allaient l’y retrouver. Honoré, son amoureux, plus que sûr, certain ! Gigi va voir les flics, pas de disparition à noter puisque Gabrielle est une jeune adulte et il y a dans le monde des flics tellement de ruptures, de départs, tellement de mystère pour les flics l’anormal est normal, ils se veulent rassurants. Donc, ils inquiètent.
Gabrielle n’est pas là.
Le flip de Gigi est le nôtre.
Qu’est-ce qui se passe ?
On peut partir. On peut mourir aussi, même jeune adulte, même ado. Même que la vie est désormais un livre qui contient au moins trois morts, celle de l’auteure et celle des livres qu’elle n’écrira plus.
Le roman est une topologie : la cour donc, l’appartement, le rez-de-chaussée avec une librairie fabuleuse, et autre topique, à suivre et lancinante : l’absence, la disparition. Les chapitres !
Gilles Cervera
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