La Mille et Deuxième Nuit, Théophile Gautier
La Mille et Deuxième Nuit, mai 2016, 112 pages, 2 €
Ecrivain(s): Théophile Gautier Edition: Folio (Gallimard)
Les éditeurs choisissent souvent de republier des œuvres d’auteurs tombés dans le domaine public, en les combinant différemment. La prolifique collection Folio 2 euros s’inscrit dans ce projet, avec ce recueil de quatre nouvelles de Théophile Gautier, extraites de Romans, Contes et Nouvelles (Bibliothèque de la Pléiade), qui porte le titre intrigant de l’une d’entre elles, La Mille et Deuxième Nuit. Si les sources d’inspiration et les modes d’énonciation des nouvelles sont variés, en revanche l’ensemble présente une unité thématique, celle du double.
Le premier récit, intitulé Laquelle des deux, conte l’amour irrépressible du narrateur pour deux femmes anglaises, une brune et une blonde, qu’on dirait jumelles.
Deuxième conte de la série, La Chaîne d’or revisite le mythe de Jason et la Toison d’or. L’épreuve consiste ici à rapporter une chaîne d’or monumentale appartenant à une ancienne hétaïre aimée. Le navire équipé pour la quête porte le nom d’Argo et les références à la mythologie antique sont nombreuses : « Demander la chaîne de Bacchide, c’était demander quelque chose d’aussi impossible que d’apporter la mer dans un crible : autant eût valu exiger une pomme d’or du jardin des Hespérides ».
La Mille et Deuxième Nuit est une nouvelle enchâssée, avec un prologue annonçant le véritable conte. L’inspiration est orientaliste : Scheherazade en personne rend visite au narrateur, qui s’exprime en jeet qui n’est autre que l’auteur lui-même, écrivain désargenté et solitaire qui n’a d’autre loisir que de produire sous forme de feuilletons les récits qu’il invente au jour le jour, et parfois la nuit. Le parallèle avec la situation de la princesse orientale, conteuse pendant mille et une nuits pour garder la vie sauve, est ainsi aisé : « Votre sultan Schahriar, ma pauvre Scheherazade, ressemble terriblement à notre public, si nous cessons un jour de l’amuser, il ne nous coupera pas la tête, il nous oublie, ce qui n’est guère moins féroce ».
Le Chevalier double est une nouvelle fantastique écrite au présent de narration jusqu’à l’épisode du dédoublement, où le couple temporel passé simple-imparfait prend le relais, comme si la découverte de l’altérité provoquait une rupture dans la temporalité du récit. Le thème du chevalier double a été initié et repris par bien d’autres auteurs, en particulier par Italo Calvino dans son court récit Le vicomte pourfendu. Plus largement, c’est le mythe de l’opposition entre le Bien et le Mal qui est ici à l’œuvre, celui du Dr Jekyll et Mr Hyde de Stevenson ou celui du conte de Perrault Les Fées… Le fantastique, qui tend vers la noirceur, rejoint ici le merveilleux, qui cherche à idéaliser le monde.
On peut alors s’interroger sur la frontière générique entre le conte et la nouvelle, qui, selon les auteurs et les récits, verse vers l’une ou l’autre de ces deux dénominations. Les contes de Gautier, à tiroirs ou linéaires, dont les héros sont des adultes, qui présentent – ou non – des éléments de fantastique ou de merveilleux ou bien encore un fondement réaliste, et qui s’adressent plus particulièrement à un public adulte en raison de la richesse de leur vocabulaire et de la complexité de leur structure syntaxique, méritent tout autant l’appellation de « nouvelles ». Ce qui les rassemble dans ce recueil est leur mode de création poétique, c’est-à-dire leur ton rêveur qui invite à l’évocation.
Sylvie Ferrando
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