La Messe allemande, François Eulry (par Stéphane Bret)
La Messe allemande, François Eulry, mars 2021, 268 pages, 19 €
Edition: Le Cherche-Midi
Voilà un roman bien curieux, atypique, et complètement hors des clous d’un monde, le nôtre, peu habité par des préoccupations d’ordre spirituel ou théologique. Nous sommes en 1940, dans un camp de prisonniers, un Offizier-Lager selon la terminologie allemande, un camp réservé aux officiers et sous-officiers. Joseph, un officier français, se trouve amené à dire la messe à ses compatriotes qui ne sont pas tous, tant s’en faut, des croyants convaincus. Joseph a pris la décision de remplacer Paul, un curé breton incapable d’exercer son sacerdoce en raison d’une grave maladie. Ses compagnons de captivité comprennent également Henri, un instituteur, et Abel, militaire de carrière.
Sans nous dévoiler d’emblée les véritables raisons qui ont conduit joseph à accepter cette tâche, à laquelle il n’est nullement préparé, mentalement et intellectuellement, François Eulry nous décrit un homme marqué par la peur de ne pas être à la hauteur, par le doute, par des interrogations lancinantes sur l’efficacité du secours qu’il est censé apporter à ses compagnons de captivité. Joseph trouve les voies et moyens pour porter ce message du christianisme ; il s’adapte à ce décor cruel et dramatique de la détention :
« J’adaptais ma pastorale à ce que j’y voulais privilégier : la fraternité et l’amour du prochain, la solidarité, la convivialité ; je laissais de côté la foi. Paul s’en irritait ; en réalité, il n’en était pas mécontent : au moins je ne la travestissais pas. J’initiais toutefois les fidèles à la beauté des psaumes qui m’enrichissaient depuis l’enfance ».
Plus encore que l’enthousiasme généré par cette démarche de secours moral à ses compagnons, Joseph est marqué par la peur, le doute paralysant : « Oui, j’ai la frousse ; depuis le début (…) Jusque-là, l’action me la faisait refouler, je la dominais. Depuis que j’acceptai le premier rôle, quand je me voulais figurant, je ne la contrôle plus ».
On pense aux romans de Georges Bernanos traitant de la question de la transmission de la foi dans un univers déchristianisé, de la douleur de l’abbé Donissan, de sa fragilité intérieure…
François Eulry pose des questions décisives dans ce roman : sur la capacité de secours d’une conviction religieuse dans le contexte de la guerre, sur la vérité des êtres humains, le dévoilement possible de leurs secrets les plus intimes. Ainsi, Joseph recueille-t-il dans des pages émouvantes la confession d’Abel lui avouant son homosexualité. Les lecteurs férus de références théologiques et philosophiques seront comblés, François Eulry évoque Martin Buber, Rachi, le théologien juif de Troyes, sans oublier d’émailler ses dialogues de citations de la Bible.
Un roman singulier, marginal, aux interrogations que d’aucuns pourraient trouver dépassées, mais un beau récit, éclairant sur l’âme humaine. A recommander pour l’effet de surprise que ce roman ne manquera pas de produire à sa lecture.
Stéphane Bret
Médecin militaire à la retraite, officier général, le professeur François Eulry a dirigé l’hôpital d’instruction des armées du Val-de-Grâce. La Messe allemande est son premier roman.
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