La Méridienne : Saint-Malo Bamako, Marc Roger
La Méridienne : Saint-Malo Bamako, Éditions Folies d’encre & Merle moqueur, 2012, 18 €
Ecrivain(s): Marc RogerBamako (Mali). Il y a une cinquantaine d’années un homme apprend par le tam-tam qu’il est père, et se rend à la maternité pour la naissance de son fils, Marc, à qui ce passage dans cette partie du monde donnera le goût de lire, peut-être en souvenir des lectures « à l’ombre tutélaire des baobabs ». Saint-Malo (France) le 31 mai 2009. Face au Grand Bé, Marc Roger et « Babel (…) un âne commun de type grand noir » partent sur les routes. Destination : Bamako. Via l’Espagne, le Maroc, le Sénégal. De pays en pays, de ville en ville. Pour voyager, écouter, noter, mais aussi pour dire, lire, raconter. « Lorsque l’oralité et l’écriture seront complices, je m’incarnerai en griot blanc ». En route !
Voyager
La Méridienne est un récit de voyage. On y lira toutes les joies et les vicissitudes de la randonnée. Gites et salles de repos diverses accueillent l’équipage. À défaut : nuit à la belle étoile. La route, parfois « morceau de route heureuse », parfois euphorique – l’ivresse du marcheur –, parfois difficile (conditions météo, solitude, aléas de la géographie, fatigue, déprime, belles ou mauvaises surprises…) est ponctuée de rencontres, d’anecdotes, émaillée de souvenirs et de digressions. On quitte souvent le chemin bien tracé (quatre ans de préparation) pour bifurquer, pour divaguer.
Tant mieux. La lecture d’un récit de voyage tout droit d’un point A vers un point B n’est pas toujours sans ennui. Dans La Méridienne, pas de risque d’ennui : chapitres courts, diversités des propos, parfois anecdotiques, parfois profonds, parfois poétiques, parfois colériques. Parfois intimes. Avec des souvenirs sur les parents. « Aujourd’hui, si je suis sur leurs traces (…) c’est simplement pour le plaisir d’être avec eux, par le souvenir et la mémoire ». Avec la mort, aussi, que l’on questionne au détour d’un chemin. La Méridienne est également un récit qui parle vrai – parce que « à la vitesse de trois kilomètres heure, soit cinquante mètres à la minute, le marcheur se nourrit de multiples détails » – et pas que sur les autres… « Non, je ne sens pas les grands espaces qui font rêver les lecteurs de récits de voyage. Je sens la sueur, la pisse d’âne, la chaussette sale ».
Voir le monde
La Méridienne n’est pas seulement le récit d’un voyage. Marc Roger est également à l’écoute du monde. – D’ailleurs, être en voyage, n’est-ce pas être à l’écoute des autres ? – Et le monde est parfois un peu étrange. Malade. « Que chacun de mes pas dirigés vers le sud n’éloigne pas mes pensées de ceux qui remontent vers le nord au péril de leurs vies ». Son style simple décrit bien, avec assez de force, les sensations, les odeurs, la violence de certaines situations. Voire la révolte. La Méridiennen’est pas une croisière de luxe. « Dans la merde des bêtes, dans les eaux qui croupissent jusqu’au seuil des maisons, sous mes yeux, les enfants, les adultes, déambulent en sabots caoutchouc fabriqués in China ». Et le voyageur solitaire, même avec un âne, n’est pas toujours le bienvenu.
Lire
La Méridienne est aussi – et peut-être surtout – un livre qui donne le goût de la lecture. Marc Roger explique ce qu’il entend par « lecteur » par rapport à « conteur » ; il préfère lire « une parole écrite sur un livre » car « le livre est plus stable que l’oral, et il dure ». À force de lire les descriptions de Marc Roger lecteur, non seulement on a envie de le voir et de l’entendre, mais aussi, à lire le bonheur que semble procurer la lecture, chez le lecteur comme chez ses auditeurs d’un moment, on ne peut qu’être pris de curiosité, on ne peut qu’avoir envie d’ouvrir un livre et de lire, comme ça, à haute voix, comme il le fait lui, comme on ne le fait jamais, nous. Et là… oh, surprise ! Mais… essayez ! Lisez ceci, par exemple : « Au pays du Fouta, dit une mère de famille, il n’y a pas d’étrangers, ou alors, même mon fils le serait à mes yeux ». Ou bien cela : « Hier soir, j’ai franchi la frontière si facile à franchir pour celui qui possède un passeport. Me voici au Mali : terre de feu et de misère ». Qu’entendez-vous ? Que comprenez-vous ?
Lire et marcher
La marche et la lecture : c’est la thématique de Marc Roger, déjà mise en musique dans Sur les chemins d’Oxor, un périple de vingt mille kilomètres alliant marche et lectures publiques autour de la Méditerranée, et qui débute par un péremptoire « Avant toute chose, je suis lecteur… ». La Méridiennecommence par la liste des villes traversées ; il aurait été logique de la faire immédiatement suivre par la liste des livres lus à voix haute en route au cours de ces « 136 lectures et pour 8270 spectateurs ». Soit ! nous les découvrirons au fur et à mesure du chemin, en marchant et en lisant, puisque « la lecture et la marche ont ceci de commun : pas à pas, mot à mot, le regard sur le texte ou la ligne d’horizon, nous allons de l’avant en mettant entre nous et le centre plusieurs cercles en écho, comme la pierre pousse l’eau quand elle tombe dans le lac ».
Lionel Bedin
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