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La mère Michel a lu (5) Été 2019, par Michel Host

Ecrit par Michel Host le 08.10.19 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

La mère Michel a lu (5) Été 2019, par Michel Host

« La mère Michel a lu un livre ! Au lieu de faire son ménage ? Eh bien, c’est comme ça qu’elle l’a perdu son chat ! »

Denis Diderot, Billet à Sophie Volland (coll. Privée)

 

« Les vrais livres doivent être les enfants non du grand jour et de la causerie, mais de l’obscurité et du silence ».

Marcel Proust, Le Temps retrouvé

 

« Notre vie est un livre qui s’écrit tout seul. Nous sommes des personnages de roman qui ne comprennent pas toujours bien ce que veut l’auteur ».

Julien Green, Adrienne Mesurat

Sommaire :

I) Brève note de reprise

II) Gwen Garnier Duguy, Alphabétique d’aujourd’hui

III) Paul Badin, Oiseaux

IV) Anne Jullien & Mathias, Il arrive parfois que mes tableaux me manquent

 

I) Brève note de reprise

Résurrection de la Mère Michel :

La Mère Michel osa sa dernière apparition publique il y a presque dix ans de cela, aux confins des années 2010 et 2011. Que s’est-il passé qui explique un si long silence ? Si l’on tenait vraiment à une explication, on pourrait dire qu’elle s’était fatiguée, qu’elle écrivait des romans, qu’elle avait connu quelques ennuis de santé, qu’une sorte de lassitude s’emparait d’elle lorsqu’il lui arrivait d’ouvrir un recueil poétique, et qu’enfin elle s’était beaucoup trop interrogée sur l’essence du poétique sans parvenir à le cerner une fois pour toutes ! Voilà bien, n’est-ce pas, de quoi longtemps rester coite… Pourquoi en dire davantage ? Le goût et le plaisir du poème lui sont revenus. N’allons pas chercher ailleurs ni plus loin.

 

II) Gwen Garnier-Duguy

Alphabétique d’aujourd’hui, Ed. Atelier du grand Tétras, 2018, huile de Roberto Mangù, 58 pages, 12 €

 

« Nulle autre humanité que d’élever

sa conscience / vers l’étang cristallin où nage la lumière »

G.G.D.

 

Le livre. C’est celui-ci. Nous le tiendrons dans notre poche, notre sac, lors de nos déplacements et voyages, et pour revenir en santé physique et mentale de nos méchantes insomnies. Toujours à portée de pensée, de mémoire. Il s’ouvre sur l’Annonciation de « la présence des mots », notre marque et privilège, « notre élément… le langage ». Il se ferme sur le Zodiaque, l’ensemble des bêtes figurées dans le cosmos avec quelques empreintes morales (la Balance de Justice ?), notre espérance, toute la matière dont nous et le monde (notre maison de l’espace et du temps) sommes pétris, « le poème des sphères » où nos mots, nos langages ont pris envol et puissance : « Nous sommes l’encre et l’encre / est l’ombre portée du Verbe ».

Nous y passerons par la Beauté, l’Eau, l’Ineffable, la Joie, la Lumière tant recherchée, la Paix… Par les vingt-six lettres de notre alphabétique, cette puissante machine de la raison, de la folie et du sens éventuel dont M. de Saussure nous apprit qu’elle est à double détente et d’un maniement simple merveilleusement adapté à l’écriture. « Communion » et « Désir » seront de la partie, rien n’étant séparable de rien. Nous nous baignerons dans ce bel océan, la Totalité. Non sans surprises, bien entendu, car « des images se meuvent et patiente / le pouvoir de cristallisation ». Oui, patienter sera indispensable. La cristallisation agit sur la prise, la cohérence des choses. Patienter pour lever, sous les mots de tous les jours, tels que les voulait Pascal, énigmes parfois, ces lièvres rapides des plaines et des monts…

Il faudra se convaincre cependant (pas facile en cette période sur-consommatrice où le très jeune homme, la toute jeune fille ouvrent les yeux sur l’inconnu qu’ils imaginent sans cesse nouveau !) de ce que « nous partons sur la route des vacances où l’ailleurs est le même », de ce que cet « ailleurs est à l’intérieur » quand la terre, le vent, la mer… lancent au-dessus, aux surfaces, leurs séduisants appels.

Il faudra, pour atteindre la lumière et le sens, cibler le poème, puis la « Poésie… [qui] n’est impuissante à rien », puisque face aux armes de ceux qui les prennent en main « elle convertit le sang à la palpitation / Porte du désir au cœur du cœur hissé… ». Avec cela, pas de leçons, mais seulement ce vœu : « que m’aime le désir » !

Du sang de la mort à celui du battement de la vie il n’est que la paroi d’une artère, celle du désir en effet. Ici, pas de cette morale punitive quoique utile parfois, mais lourde à porter aux consciences de notre temps. Elle a trop failli, nous le savons. Non, mieux valent les tentations que les leçons, tentations de nous retremper dans notre amniotique planète si proche de sa destruction. Tentation de la « Forme », garante de toutes les beautés, et jusqu’à l’impulsion de Dieu (on y consent volontiers pour ceux qui la portent sans pour autant porter les armes de la mort).

Ce sera alors le Graal : « … je prends les mots donc je prends les armes pour une paix à tout prix, virgule, respiration ». Avec ce Graal, avec l’apprendre à mourir saisi sur la tombe du père, reviendra « ce désir d’épouser la langue, de la danser, de s’y confronter au point de s’y dissoudre dans le poème, d’y renaître épuré ». C’est une voie secrète et pourtant immanquable. On imagine qu’au poème se substitueront aisément d’autres langages : symphonies et concertos, harmonies concrètes, le tableau, la statue, la fresque, « l’installation » même si on la souhaite… la course de l’athlète, l’élégant plongeon du plongeur, la grâce de la danseuse, le rire de Fats Waller, des pièces de Bach, Mozart ou Schubert… Alors se trouvera la Joie à la croisée des chemins.

Ne devrait revenir non plus cet optimisme à tout crin, forcé en somme, cette volonté de ne pas seulement considérer l’horreur en soi, les puanteurs, ces infamies qui nous déshonorent (encore une notion à réviser ?) : « … pandémie du terrorisme… anarchie… ». Le totalitaire masqué par les apparences de la démocratie… « le dogme nihiliste » et enfin « l’image mondialisée de notre désastre»… Ô dieux, l’image ! Si pauvre ! Si frappante qu’elle empêche de voir, contrairement à l’évidence facile.

Gwen Garnier-Duguy nous remet en mémoire de ces images de l’iniquité sociale ordinaire, de ces misères profondes extraites de la profondeur bancaire, du crime légal quoique dénié dans les temps de guerres de toutes sortes ! De ces faits incompréhensibles à la raison et au cœur, faits qui laissent entendre que « si Linguistique vaut Liberté vaut Logique vaut lave-linge / alors le bien vaut le mal et le bien qu’on veut nous faire accroire n’est plus le mal incarné… ». Ici, sur et dans la chair vivante, des hommes et des femmes jouent l’un avec l’autre, l’un contre l’autre, vérité et mensonge. Vient alors, ne disons pas une philosophie, si complète souvent qu’elle tient des catéchismes – à prendre ou à laisser – mais une occasion de seulement « penser » ! Penser ! Penser suffit à l’homme qui, fût-il maladroit ou peu exercé, y tend ou s’y efforce. C’est une belle proposition de cet « Alphabétique ».

Nous sont offerts des rappels méritoires (tant cela paraît aujourd’hui de la préhistoire !) de la dernière guerre, de Paul Éluard, de René Char… au-delà, bien entendu, de toute controverse poétique… Vérités de « ceux par qui le monde ne s’effondre pas ». Vérité du Verbe encore, et du Poème encore, puis vérité de soi quand il faut nommer la source : « Je me sens comme un végétal, mes racines sont de mer d’Iroise et des forêts d’Argoat, elles plongent / dans les sources souterraines de l’amour courtois, élisent la terre et le bestiaire des terres libres ». Comment n’être pas à l’unisson ? Comment ne pas être né et avoir grandi sur les mêmes terres, au bord de mers semblables et dans les mêmes amours ? Comment aussi ne pas refuser (quoique le poète démente y accorder la moindre importance) ces « nouvelles qui n’ont strictement rien de nouveau », leurres faits pour exciter et divertir nos neurones, nous désespérer dans la croyance de notre solitude, de notre impuissance, quand « le vent pénètre toute chose et l’ensemence », et que le Poème ne meurt pas, et que « la mer danse, elle danse grec, elle danse germain, elle danse irakien, elle danse syrien… ». Je l’avoue, une telle foi témoigne d’une âme que je n’ai pas, non pas faible cette âme, mais disons-le, élevée dans un scepticisme de belle ancienneté lui aussi… C’est ainsi. Tout se mesure, s’équilibre : pensée, pensée ! Gwen Garnier-Duguy l’affirme : il est « un indicible qu’il faudra bien dire, un inouï qu’il faudra s’efforcer d’entendre… », « un territoire du tout esprit » à reconquérir, une urgente nécessité d’amour renouvelé de la terre « lignagère », des bêtes, des hommes… de « prière / par quoi toute poésie advient ».

Poésie. Gage et gageure de l’humanité retrouvée, de l’homme retrouvé, de la pensée retrouvée chez chacun(e) d’entre nous redevenu « monarque affranchi » ! Pouvons-nous davantage ? « c’est assez pour le poète d’être la mauvaise conscience de son temps ». C’est « assez » aussi pour cette poésie d’exception dans les temps exceptionnels que nous vivons ou subissons. Le poète chilien Pablo Neruda le proclamait : « La poesía es un arma cargada de futuro ». Ce futur reste ouvert, et « l’alphabétique pour aujourd’hui » y ouvre aussi sa fenêtre.

 

III) Paul Badin

Oiseaux, éd. Atelier Rougier V., 2018, ill. Yves Barré, 36 pages, 9 €

 

« Sept cygnes, imperturbables sous l’orage, sous la colère des éléments,

Les grondements déments, les coups de poing à crever les tympans… […]

Et flotte l’imperturbable neige du temps… »

P.B.

 

Les Oiseaux, doux ou cinglants éveilleurs de l’aube, compagnons mélodieux ou jacassiers des jardins quand s’étirent les après-midis d’été, présences chasseresses sur les terres giboyeuses, présences faufilées entre branchages et buissons à la nuit tombante… Ils célèbrent l’alternance du jour et de la nuit, sonnent le lever des couche-tôt, rappellent à la raison les couche-tard. On a vu des mésanges se plaindre par-dessus leur tablée des excès de dîneurs tardifs. Ils nous sont si familiers qu’il nous arrive de ne plus les entendre, si indispensables que leur absence crée un silence inquiétant, voire suspect (*)… Il est réjouissant qu’à l’heure où beaucoup d’entre eux sont menacés dans leur existence, là-même où ils avaient toujours vécu, que des maîtres des mots et des images les célèbrent à leur tour.

Le livre est précieux parce qu’il fait ses choix dans une collection où la minceur et le petit format créent eux aussi la rareté. Les très belles « images » d’Yves Barré, entre rêveries et songes d’oiseaux, bijoux proches des émaux cloisonnés et des tapisseries quant aux plumages divers, suggèrent elles aussi cette alliance des paysages, de l’animal, du végétal et parfois du monumental. Ces associations sont « naturelles » qui témoignent de ce que l’homme ne conçoit pas sa propre existence sur terre sans celle des peuples du ciel. Elles marchent, ces images, à l’unisson des proses aériennes et aérées de Paul Badin, les deux arts forment des représentations complètes du « Jardin » reconstitué, preuve d’une confiance absolue dans des plaisirs à retrouver, comme s’il n’y avait pas eu rupture de continuité dans le fil des temps… Confiance encore en la suggestion de vie apportée par le verbe, lui-même image écrite, image à dire et à se dire, d’un espoir réel. En une renaissance attendue, certaine, d’un ordre appelé à renaître.

Si le rouge-gorge figure deux fois dans ce délicieux recueil, nous verrons pourquoi. Chaque oiseau est écrivain, chanteur des forêts et des grands vents. Si le cormoran suggère la mort, c’est qu’il vient de loin et vit en bande ; l’aigrette des grèves a plus d’élégance dans l’habit et le crime (mais dira-t-on que les animaux peuvent être criminels ?) ; si martinets et hirondelle « élargissent » le ciel, ils se font rares (du moins en Basse Bourgogne et l’enfouissement des fils téléphoniques ne les aide en rien), les cygnes vivent, lents et royaux, silencieux « sur le fil du fleuve »… Ils vont, libres nacelles. « Et flotte l’imperturbable neige du temps ». Ils sont hors d’atteinte. C’est la marque de Paul Badin : un mot, une phrase brève… et il a signé l’estampe, la silhouette, le caractère… Les étourneaux « tourneboulent » les clochers et font songer au fléau des sauterelles de l’Égypte ; les tourterelles et leurs cantilènes émeuvent et troublent l’âme de leurs amours ; le héron, tel que le peignent les mots et les couleurs, suggère celui du Jean de La Fontaine de notre enfance, et aussi un prince du sang égaré sur quelque étang ; les rapaces nous viennent retour du Mont Ararat et de l’Arche de Noé… Bouvreuils, fauvettes et loriots, avec tant d’autres, vivent dans la seule image de ceux qui eurent la chance de les entendre et de les voir, dans la mémoire. Reviendront-ils ?

Le rouge-gorge, enfin : le revoir au matin frais, minuscule chevalier au bouclier vermeil, perché sur ses pattes finissimes, dans l’escalier du jardin, puis nous regardant droit dans les yeux, nerveux et presque insolent avant de s’envoler pour revenir on ne savait quand. Trois miettes, rien d’autre. Digne, il quémandait sa provende, sachant qu’il n’y a que fort peu à attendre des hommes. Cinq ou six ans qu’il n’a pas reparu. Ce joyau de l’air envolé d’une tapisserie, Paul Badin le voit en aide-jardinier, d’une « familiarité bon enfant », semant la graine de beauté « et son ivresse diffuse ». Au terme du recueil, il en fait le héraut de la compassion humaine aujourd’hui combattue par les égoïsmes d’une société inhumaine : « À travers la chaleur émouvante de ta gorge, j’entends aussi les complaintes silencieuses, tragiques, des exilés, des poursuivis, des déracinés, des meurtris, des privés de tout… ». Ce petit livre est un grand livre qui nous lie et relie à la totalité du monde, à l’humanité sensible, à la nature et à ses voix qui nous rappelaient que nous sommes toujours un peu plus que ce que nous nous figurons être, un livre précieux qui, sans aucune leçon de morale, remet le ciel au-dessus de nos têtes souvent occupées de marchandises et de pauvres enrichissements, nous rend les peuples des nuages et vents avec d’anciennes nostalgies.

(*) L’inquiétude va de soi. Des jardins, des campagnes entières sont (ou paraissent) désertés de toute présence ailée. Dix couples d’hirondelles perchées sur des antennes de télévision – nos auteurs le signalent –, de petites troupes de moineaux friquets qui font de la résistance n’engendrent pas un peuple d’oiseaux. Cependant, ce peuple réfugié dans les zones sans poisons, revient dès que, pesticides et fongicides disparus, se recompose son habituelle provende d’insectes et de graines, ses nourritures de toujours. Il y faudra une grande évolution des méthodes agricoles : cela paraît envisageable.

 

IV) Anne Jullien (textes), Mathias (photographies)

Il arrive parfois que mes tableaux me manquent, éd. Le fantôme des hortensias, 2019, 76 pages, 5 €

« Le cheval attaché au bout du licol

Le cheval a plat

Va sortir de l’image… »

A.J.

 

Lorsque Mathias capture un fragment de mur, un tronçon de voie ferrée, la rambarde d’un pont… il se rapproche d’un faire pictural connu depuis que cet art se veut représentatif du réel. Notre appareil visuel nous y conduit naturellement : nos yeux voient selon un angle qui au mieux tend aux 140° ; par ailleurs, outre le port éventuel de lunettes ou l’emploi de la longue-vue ou de la loupe, voire du microscope, notre vision du monde est fragmentée elle-même par des artefacts tels que fenêtres, pare-brise, encadrements de portes, arcades, barrières de protection routière, etc. User du viseur de l’appareil photo ou de la caméra ne fait que multiplier les angles et partager l’espace en tableaux et perspectives. Nous avons pris nos habitudes depuis des millénaires. Il est toujours question de « prise de vue », de champ, contre-champ et profondeur de champ, d’angle de vision… Entre des centaines, choisissons des artistes-clés : La Piranèse et ses prisons (carceri) labyrinthiques et quasi spatiales, Vermeer qui, ouvrant à demi une porte, nous donne à voir deux scènes se produisant au même instant dans la même maison, ou encore Caillebotte qui, plus tard, fera travailler ses Raboteurs de parquetsavec, prolongeant la vision intérieure, celle, extérieure, de l’avenue de l’Opéra.

Ces « images », dont parle Anne Jullien, sont-elles familières pour autant ? Certainement oui, car nous ne sommes surpris que par l’ambiguïté d’une forme, souvent parce qu’elle en suggère une autre jusqu’à ce que nous rétablissions l’objet représenté dans sa réalité unique. La systématisation du procédé de la « coupe » ou du « découpage » (appelons-le ainsi) crée un tout autre paysage du monde, celui qu’Anne Jullien cerne en quelques mots : « Hypnotisée par l’image / j’en invente une seconde / qui m’invite ».

L’objet et le fait de le reconnaître sont dépassés. L’image s’est faite « vignette ». L’invitation est de déborder le champ habituel dès que les yeux les touchent, elle sollicite l’imagination du regardeur, lui laissant toute liberté des ailleurs où il souhaite se rendre. Peut-être même n’a-t-il pas à la solliciter, elle y bondira selon sa pente ou son tremplin. C’est-à-dire que le regardeur est appelé à se réaliser lui-même dans la proposition picturale : « Mes sujets sont communs […] Ce sont les gens qui regardent et s’approprient ces images qui les font vivre de mille vies » (Mathias). « Ces vignettes […] n’ont ni début, ni fin, ni ordre logique, elles sont là pour montrer que même un tableau fini peut être infini ».

Le livre est lui-même « fini », d’un faible volume, mais tout empli du monde visible et peut-être, pour les voyeurs les plus exercés, d’autres mondes très lointains, appartenant aussi bien au domaine du cosmos qu’à celui des pensées philosophiques ou métaphysiques. Liberté sans limites, disions-nous, mais pilotée par l’imagination, l’aventurière plus ou moins audacieuse de chacun. Livre idéal, mille fois complet de son apparente incomplétude, livre soumis d’où se projettera ce que son lecteur projettera. Le TOUT avec lui est atteignable. Une conversation de l’esprit s’engage avec lui dès qu’on ouvre ses pages.

Parmi cet infini capté dans l’invisible, détachons quelques visions-instants d’Anne Jullien :

« l’énigme de la lettre V

me poursuit

me fait des clins d’œil »

Si je n’ai jamais conçu cette énigme, il n’est pas invraisemblable qu’elle me vienne à mon tour, à moins que ce soit celle de la lettre Z…

Du sommet d’un pylône évoquant l’industrie, l’électrification :

« c’est le mât de Péquod et Achab

Enrage

De ne pouvoir y grimper »

De la tourelle rouillée d’un cargo au rebut, ce mirage ? Un autre ? Ou la pensée du grand désastre ?… de la dévastation de la terre ?

« on pressent le naufrage

La galère la nuit blanche

[…]

Le cargo sombre à quai

D’un port en déshérence »

La réminiscence affleure ici ou là dans ce recueil de visions, souvent des objets, des saveurs, des couleurs de l’enfance – des « roulis d’enfance » – toute nostalgie enclose et bien gardée. Parfois des bonheurs, parfois la mention d’une mort sur une route : « Il y a au mort //certainement ».

L’universel cinéma répond à l’immobilité des choses tranchées. Mais un cinéma qui se tourne en nous-mêmes, avec à chaque fois des films différents, avec pourtant ces âpres questionnements, lesquelles nous rassurent cependant : il y aura toujours à chercher, à interroger l’espace et le temps où nous sommes plongés.

« Ce qu’il restera de nous / Après »

Pour quelles raisons le futur

S’intéresserait-il à nous ?

La parole fait vœu de silence

 

Michel Host

 

Gwen Garner-Duguy, né en Bretagne, a participé au colloque consacré à Patrice de La Tour du Pin au collège de France, y parlant de la poétique de l’absence au cœur de La Quête de Joie. Il a signé un roman sur l’œuvre du peintre Roberto Mangù, Nox, aux éditions Le Grand Souffle. En 2011, aux Editions de l’Atlantique, Danse sur le territoire, recueil préfacé par Michel Host, en 2014. Puis, en 2015, Le Corps du Monde, aux éditions de Corlevour, préfacé par Pascal Boulanger. La nuit phoenix, Recours au Poème éditeurs, postface de Jean Maison. Avec Mathieu Baumier, il fonde en 2012 le magazine en ligne Recours au poème, et signe en 2013 la préface à La Pierre Amour, de Xavier Bordes, coll. Poésie, Gallimard.

 

Paul Badin, né en 1943 en Anjou, ex-professeur de lettres, ex-président fondateur du Chant des mots et responsable de publication de N4728, Revue de poésie, anime un groupe d’écriture poétique dans sa commune. Voue réflexions et écrits nombreux à l’œuvre de René Char. A publié recueils, essais, articles chez de nombreux éditeurs et en revues. Parmi ses dernières publications : Post it (éd. Rougier V., Coll. Ficelle, 2012), Voici l’homme, 15 peintures de Gérard Houver (avec Albert Strikler, Le Tourneciel, 2014), L’Apocalypse d’Angers (Ed. Saint-Léger, 2017, essai), Lumières dans l’île, 2018 (Encres Vives).

 

Yves Barré, né en 1949, vit dans la campagne sarthoise. Ce poète « définitivement inclassable » (cf. Prix Claude Ribouillault, 2003), écrit, dessine, peint, sculpte. Chaque jour il nourrit son blog de ses « bidouilles graphiques et poétiques » (ahoui.eklablob.com). Il a conçu avec Alin Boudet Le Promenoir vert, anthologie de poésie contemporaine à usage des écoles et collèges (CRDP, Poitiers 1999). Dernières publications : Quasi-poèmes (Décharge, Gros Textes, Poèmes, 2018). Dessins pour Les tweets du pinson, de Jean-Claude Touzeil, éd. Gros Textes, 2018.

N.B. : Pour ces deux auteurs, le recueil Oiseaux donne un catalogue impressionnant de leurs œuvres, jusqu’à l’année 2018.

 

Anne Jullien est faite du granit du Finisterre, là où elle vit et travaille. Les lieux lui importent et la marquent profondément, qu’ils soient réels ou imaginaires. Elle les traverse, elle y capture des images, des impressions qui lui appartiennent en premier lieu, avant d’inviter autrui à les partager, et mieux encore, à les prolonger de ses propres images, à les travailler dans son imaginaire personnel, leur offrant mille autres échappatoires et perspectives, d’où son exceptionnelle entente avec l’artiste-peintre et photographe Mathias. Elle anime des ateliers « d’écritures poétiques » et est membre de l’association Compter les Girafes. Ses dernières publications : Dans la tête du cachalot et Les Yeux des chiens (Ed. Asphodèle), Flottille (Ed. de l’Atlantique).

http://ecritsannejullien.blogspot.fr/

 

Mathias, né à Brest, taillé dans le même granit, s’est initié à l’image par la contemplation de son lieu de naissance et à la photographie et à la peinture par son père et son oncle. Le métier d’artiste lui a paru le plus désirable qui soit. Il est passé par les Beaux-Arts de Brest, y apprenant à maîtriser plusieurs techniques dont la gravure. Dans son atelier de Landerneau, depuis 2017, il partage sa et ses passions avec différents publics.

www.mathias-arts.com

 


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A propos du rédacteur

Michel Host

 

(photo Martine Simon)


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Rédacteur. Président d'honneur du magazine.


Michel Host, agrégé d’espagnol, professeur heureux dans une autre vie, poète, nouvelliste, romancier et traducteur à ses heures.

Enfance difficile, voire complexe, mais n’en a fait ni tout un plat littéraire, ni n’a encore assassiné personne.

Aime les dames, la vitesse, le rugby, les araignées, les chats. A fondé l’Ordre du Mistigri, présidé la revue La Sœur de l’Ange.

Derniers ouvrages parus :

La Ville aux hommes, Poèmes, Éd. Encres vives, 2015

Les Jardins d’Atalante, Poème, Éd. Rhubarbe, 2014

Figuration de l’Amante, Poème, Éd. de l’Atlantique, 2010

L’êtrécrivain (préface, Jean Claude Bologne), Méditations et vagabondages sur la condition de l’écrivain, Éd. Rhubarbe, 2020

L’Arbre et le Béton (avec Margo Ohayon), Dialogue, éd. Rhubarbe, 2016

Une vraie jeune fille (nouvelles), Éd. Weyrich, 2015

Mémoires du Serpent (roman), Éd. Hermann, 2010

Une vraie jeune fille (nouvelles), Éd. Weyrich, 2015

Carnets d’un fou. La Styx Croisières Cie, Chroniques mensuelles (années 2000-2020)

Publication numérique, Les Editions de Londres & La Cause Littéraire

 

Traductions :

Luis de Góngora, La Femme chez Góngora, petite anthologie bilingue, Éd. Alcyone, 2018

Aristophane, Lysistrata ou la grève du sexe (2e éd. 2010),

Aristophane, Ploutos (éd. Les Mille & Une nuits)

Trente poèmes d’amour de la tradition mozarabe andalouse (XIIe & XIIIe siècles), 1ère traduction en français, à L’Escampette (2010)

Jorge Manrique, Stances pour le mort de son père (bilingue) Éd. De l’Atlantique (2011)

Federico García Lorca, Romances gitanes (Romancero gitano), Éd. Alcyone, bilingue, 2e éd. 2016

Luis de Góngora, Les 167 Sonnets authentifiés, bilingue, Éd. B. Dumerchez, 2002

Luis de Góngora, La Fable de Polyphème et Galatée, Éditions de l’Escampette, 2005