La maladroite, Alexandre Seurat
La maladroite, août 2015, 122 pages, 13,80 €
Ecrivain(s): Alexandre Seurat Edition: La Brune (Le Rouergue)
La Maltraitance infantile. Ce qu’on sait d’elle – de plus en plus, après tout l’infini des années-silence. Ces sujets-TV, ces faits divers posés devant nous, dans notre confort, notre bonne conscience – mais comment peut-on ? mais pourquoi n’a-t-on pas fait… le ronron de nous face aux scandales de la société dans laquelle nous nageons, en même temps que ce gamin qui…
On aurait attendu, là, et avec intérêt, l’essai ; les points de vue croisés des Institutionnels ou des décideurs. Des propos, des argumentaires, et, dépourvus d’identités diverses, floutés, sans noms, ni couleurs de cheveux, ni voix : les « sujets maltraités ». Alors le roman dans tout ça ? Et bien, le roman, justement…
Alexandre Seurat – premier roman, ici – connaît à fond son sujet, est ? voisine avec ? un des acteurs de son curieux récit-roman. Il réussit remarquablement à faire se croiser les aspects documentaires, les acteurs – institutionnels de tous poils ; école, médecine scolaire, services sociaux et juridiques – et ce qui nous prend aux tripes – allez ! pas guère après la page 12 ou 15 – nous faisant garder le bouquin à la main, jusqu’au moment où l’on éteint la lampe, dernière page fermée, en reposant le livre, un œil dessus : celui-là ! On se rappellera ! Objectif parfaitement atteint, Monsieur Seurat !
Les sinistres scenarii de ces affaires-là tiennent en quelques lignes : un gamin pas très intégré dans sa cour d’école, aux bosses et plaies finalement apparentes, inquiétant assez l’instit pour passer à la phase du signalement ; mise en cause de l’entourage, branle-bas des services sociaux, déclaration aux instances juridiques. On sait aussi les mensonges du gamin – obligé ? attaché affectivement à ses bourreaux ? Les dissimulations de la famille, les complicités. On connaît les atermoiements des responsables, la façon de se passer « la patate » ; ceux qui ne voient pas, n’entendent pas ou ne veulent pas. La maladroite, c’est justement tout ce qu’on connaît, à la virgule près. Toutes les stries de la feuille. Rien de nouveau, ni d’inédit. Un scan de la maltraitance. Mais, raconté d’une telle façon – procédé du roman, avec la force de la littérature, de ses mécanismes émotionnels et transférables – qu’est démultipliée une efficacité de bombe.
« Quand j’ai vu l’avis de recherche, j’ai su qu’il était trop tard. Ce visage gonflé, je l’aurais reconnu même, sans son nom – ces yeux plissés et ce sourire étrange – visage fatigué, qui essayait de dire quetout va bien, quand il allait de soi que tout n’allait pas bien, visage me regardant sans animosité, mais sans espoir, retranché dans un lieu inaccessible, un regard qui disait tu ne pourras rien, et ce jour là, j’ai su que je n’avais rien pu ». Signé, l’institutrice, et ailleurs – entrecoupant le récit ainsi construit – ce sera les dires de la grand-mère, du frère, du médecin scolaire.
Elle est haute comme trois pommes, s’appelle Diana, comme la princesse fracassée sous son pont, habite une classe primaire, et s’amène couverte de plaies et coups : – non, ses parents ne la battent pas, elle est juste maladroite et porte je ne sais quelle maladie rare… donc… Et le déroulé de commencer sa route, de la première institutrice qui a vite le nez, aux autres (ça change souvent d’école, ces familles-là), de ceux qui font froidement enquête à ceux qui se construisent un autre récit ; des difficultés de pratiquer la loi, aux multiples rendez-vous avec les parents – c’en est ? c’en est pas ? Tout dans la nuance et la sinuosité, la récit d’A. Seurat. Jamais – c’est sa force – dans le manichéisme primaire et attendu. Ce qui l’intéresse, c’est l’intérieur ; celui de parents qui ont un réel vécu difficile et heurté ; celui des enseignants, qui « font ce qu’ils peuvent », des services sociaux qui cernent avec un soin maniaque le pré carré de leurs attributions – terrible chaîne de ceux qui ont vocation à prendre en charge ce type de problèmes, et qui, du coup, déportent sans arrêt les initiatives, et ma foi, les courages. Quelque chose de ces mécanismes de résistances, qui, à l’instar d’un De Gaulle, disait : résister, c’est savoir dire non. Ce qui passionne Seurat, c’est aussi à l’évidence notre intérieur à nous ; la respiration d’après notre haut-le-cœur ; petite musique du genre « et vous, vous auriez fait quoi et comment ». Celle qui nous obsède si longtemps après le livre refermé.
Scandée par le rythme de l’urgence des décisions à prendre, pour autant freinées de partout – on s’attendrait presque à voir écrit les dates et les heures, en guise de sous-titres –, l’écriture nerveuse et attentive à reverser tous les reflets de l’évènement en gestation dans l’histoire, et dans l’écho qu’il fait en nous, signe un écrit particulièrement émouvant. Une réussite essentielle, pas souvent atteinte en littérature.
Martine L Petauton
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