La Maladie de la mort, Marguerite Duras (par Marie du Crest)
La Maladie de la mort, 64 pages, 7 €
Ecrivain(s): Marguerite Duras Edition: Les éditions de MinuitMarguerite Duras (1914-1998)
Peu d’écrivains ont marqué autant leur temps que Duras au vingtième siècle, à la fois par leur parcours personnel et par leur œuvre. Enfant du colonialisme français en Indochine qui littérairement inaugura sa bibliographie en 1950 avec Un Barrage contre le Pacifique, témoin actif de la Résistance et de la déportation (celle de R. Anselme), ou encore commentatrice contestée de l’affaire Grégory, Duras n’a pas cessé d’entrecroiser vivre et écrire. Elle n’est d’ailleurs pas prisonnière d’un seul genre littéraire ni d’un mode d’expression unique. Elle a écrit des romans, des récits, des pièces de théâtre, des adaptations de certaines de ses œuvres. Elle a aussi filmé.
La plupart de ses textes sont publiées aux éditions de minuit.
Face à la mer
En 1984, Duras obtient le prix Goncourt avec son roman L’Amant. Elle deviendra ainsi une auteure connue d’un large lectorat. Son texte précédent est lui resté dans l’ombre du plus grand nombre : un très court texte d’une soixantaine de pages qui ne veut pas s’installer définitivement dans la typologie littéraire. Il dit sa propre hésitation, ou plutôt sa plasticité, tous ses possibles. En effet Duras propose à sa suite qu’il puisse être représenté au théâtre, mais pas simplement en faisant jouer aux personnages du récit leur rôle respectif :
Les deux acteurs devraient donc parler comme s’ils étaient en train d’écrire le texte (p.60).
Elle précise que la femme de l’histoire (la comédienne qui prendra sa place), celle qui a accepté contre de l’argent, sans être une prostituée professionnelle, de passer des nuits avec l’homme, aura appris par cœur le texte tandis que l’homme en fera lecture. Tout cela inscrit le livre dans une perpétuelle ambivalence, une ambigüité poétique. Duras envisage de plus de passer au cinéma (si je devais filmer le texte). L’entrée dans la matière textuelle d’ailleurs passe par l’usage du conditionnel et de l’adresse mystérieuse à un homme par une narratrice/un narrateur :
Vous devriez ne pas la connaître, avant de parvenir à l’indicatif p.8 : Vous dites que vous voulez essayer.
Le dispositif est celui d’un huis clos (théâtral) dans une chambre, et son échappée, une terrasse, face à la mer. Un soir, la femme sans nom repartira. Duras écrit sur tous les impossibles de la vie et de l’écriture : les silences (la femme s’endort régulièrement) ; la révélation de l’incapacité de l’amour pour cet homme. La maladie d’amour vaincue par la maladie de la mort qui fait à la fois titre et leitmotiv à l’intérieur des paragraphes (pp.23-30-36-38-56). L’amour ne peut advenir par-delà la jouissance. Aimer comme un essai, une expérience. Un échec. L’homme ne pourra pas raconter ce qui lui est arrivé à d’autres.
La postérité du livre dit elle aussi cette nécessité de laboratoire. Plusieurs metteurs en scène ont travaillé sur La Maladie de la mort, et notamment récemment Katie Mitchell aux Bouffes du Nord en 2018, intégrant une vidéo retransmettant les images en gros plans de la femme dans le lit avec les techniciens à l’œuvre autour d’elle et une lectrice (Irène Jacob) isolée sur le plateau, dans une cage de verre en lectrice. Tout semble devoir être mis à distance et il serait vain d’adhérer à une lecture autobiographique, renvoyant à la relation de Duras et de Yann Andréa.
L’écriture de Duras alors s’accroche à la poésie, aux images sensuelles du corps de cette amante au parfum « d’héliotrope et de cédrat » (qui fut choisi comme premier titre), à la flaque blanche des draps sur lesquels elle repose et à la mer noire que contemple l’homme. La poésie fait force face à l’histoire, au dialogue impuissant.
Le lecteur peut alors se souvenir de cette photo prise dans le grand salon des Roches Noires à Trouville ; Duras très lointaine, de dos, debout devant la large baie, face à la mer. Comme à la place de son personnage masculin. L’Inaccessible révélation.
Marie Du Crest
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