La Maison loin de la mer, France Burghelle Rey (par Philippe Leuckx)
La Maison loin de la mer, éditions Douro, juin 2021, 72 pages, 15 €
Ecrivain(s): France Burghelle Rey
Dans une collection qui vise à honorer l’atelier de « fabrique » de l’écrivain et à offrir au lecteur le noyau même de l’écriture, France Burghelle Rey tisse tout à la fois le récit de l’écriture présente et les méandres d’une mémoire qui ceint le tilleul, l’odeur du village natal et les personnages précieux du passé, parfois difficiles à cerner tel cet homme, telle cette Rose, grand-mère pourvoyeuse.
Le talent de l’auteure est de montrer l’anamnèse difficile des moments clés d’une vie enfouie, de les éclairer avec les œuvres en train d’être lues ou rappelées.
Ainsi défilent les poèmes de soi ou d’autres, les extraits d’Ancet, de Singer ou de l’amie Geneviève Hutin, hélas disparue.
France Burghelle Rey tâtonne, revient à la cause, s’acharne pour dépecer ce mystère de la « maison » d’écriture (comme le nomme Dorion).
Pourquoi écrire ? Pourquoi passer tant de temps à orner sa vie des mots qu’il faut requérir, avec joie, avec peine ?
Sans être un essai, ni un livre d’heures, ce livret touche à l’essentiel, le pouvoir des mots quand tout a disparu. Il y a quelque chose de proustien dans cette quête éperdue de l’enfoui pour le faire renaître.
La forme des « fragments » restitués renvoie à celle que Pessoa utilisa pour son Livre de l’intranquillité. S’y nichent le baiser de jadis, cette quête d’« autobiopoésie » de l’auteure, les émotions différées qui font de ce livre un nœud sensible de « faits analysés », de lectures qui ont nourri le parcours.
L’index des auteurs cités montre à l’envi l’apport essentiel de la lecture dans l’écriture même de tout livre, puisqu’elle génère ce qui est indispensable à la création nouvelle. Les thèmes lus deviennent eux-mêmes ferments de ce qui se dira au creux du livre nouveau.
Anne Clancier, psychanalyste, est souvent citée, et l’on peut imaginer toute l’analyse qui a rendu possible ce travail d’écriture sur et autour de soi, pour renouer avec la maison, ce lieu tendre et tendu, ce réceptacle des émotions, ce lieu qui sert de point de départ et d’offrande aux mots. L’auteure est revenue à ses terres d’élection et, forcément, ce terreau a fructifié, et il en est sorti, germe et force, ce livre qu’on vient de lire, sous les auspices des maîtres à penser, à lire, à écrire, Rilke, Leiris, tant d’autres.
On le relira, sans peine, car il est fécond.
Philippe Leuckx
France Burghelle Rey est essayiste, poète, romancière. Elle est l’auteure d’une quinzaine d’ouvrages. Citons : La Fiancée du silence (2010), Révolution (2013), Le Chant de l’enfance (2015), Après la foudre (2018), L’Aventure (2018). Elle collabore aux Revues La Nouvelle Quinzaine Littéraire, et Europe.
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