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La maison fendue (4), par Sandrine Ferron-Veillard

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard 05.05.16 dans Nouvelles, La Une CED, Ecriture, Ecrits suivis

La maison fendue (4), par Sandrine Ferron-Veillard

 

Melbourne celebrates Chinese New Year like no other with a city wide festival that spreads from the rivers and laneways to the outer limits.

Les Australiens disent à la télévision que c’est l’année du chat, les Chinois celle du mouton, tu as compris que les constellations n’ont ni la même taille ni le même nom. Demain il fera beau.

Ils rentrent demain. Les chartreux ont dû le sentir. Ils sont nerveux. Tu passes l’aspirateur, tu fais la poussière, tu refais les vitres, les caisses, tu lances deux ou trois lessives. Tu ranges. Tu laves aussi le linge tassé dans l’évier de la buanderie même si ce n’est pas le tien. Il pue. Tu t’es retenue d’explorer leurs deux armoires. L’odeur sans doute. Le désordre.

Tu sors, tu rachètes l’ensemble du contenu du réfrigérateur et des placards que tu as vidé. Deux cents dollars/cent-soixante euros. N’oublie pas de leur donner la carte Opal que tu n’as pas utilisée, t’es-tu d’ailleurs interrogée sur le choix d’un tel nom pour une carte, naturellement non. Les Australiens ont découvert sa formidable palette de couleurs dans les années soixante, tu avais vingt ans. Cette pierre est à elle seule un arc-en-ciel, elle en porte toutes les teintes. Les spectres.

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Tu as conservé les tickets. Le Melbourne Museum où tu n’es pas entrée préférant un chocolat chaud au lait de soja à l’extérieur. Un déjeuner à St Kilda au Tree of Life : un jus detox de carottes/gingembre/betterave/céleri/ fraîchement centrifugé et une assiette vegan composée d’un avocat, de champignons roses, de tomates séchées, d’halloumi, un fromage traditionnel chypriote mélangeant le lait de chèvre et le lait de brebis servi ici fumé, grillé sur des tranches de pain au soja. Tu as noté tout cela sur chaque ticket, fabuleux, exquis, une suite d’adjectifs avantageux, ceux dont tu raffoles.

Il faudra que tu transfères tes photos sur leur ordinateur, celles que tu as prises de leurs chats uniquement, que tu leur dises de séparer les bols des chats. Quand ils viendront à Paris, préviens-les. Il faudra que tu y mettes du tien, que tu leur donnes quelques bonnes adresses, de judicieux conseils.

Les mains et ce que tu fais avec. Observer/disséquer l’intimité des autres a toujours été ta principale activité.

Mais tu n’as rien dit. Tu es restée poliment assise face à eux, ton ressenti bien loti derrière ton lobe frontal, tes pensées à l’abri. Tu les as écoutés te parler de la Nouvelle-Zélande. De l’Australie. De leur nièce venue garder les chats, les trois jours précédant ton arrivée. Effectivement, ils avaient dû partir plus tôt, une histoire de billet d’avion moins cher, partis vite omettant de cacher quelques effets personnels. Les bijoux sur la table de nuit, le linge entassé dans la buanderie, les sous-vêtements dans la machine à laver.

Eviter le sujet du cendrier. Tu as tout nettoyé.

Lui est un directeur à la retraite, jadis responsable d’une importante entreprise chargée d’irradier tous les aliments entrant en Australie. Tuer les bactéries pour des critères de santé publique, une pratique désormais interdite pour l’alimentation animale suite à une affaire de surdosage. Des cas d’animaux domestiques paralysés, des chats à Sydney, bref une sale affaire. Pour l’alimentation humaine, plus de problème. C’est bien suivi, c’est bien dosé. La radiation est un fait connu pour prolonger la durée de vie des aliments : ils voyagent mieux.

Tu l’apprends.

Les aliments sujets à la prolifération bactérienne sont plongés dans un caisson hermétique, exposés vingt-quatre minutes à la radioactivité. A l’instar des corps qui passent des radios, c’est inoffensif. Le processus a été inventé pendant la guerre de Corée, par l’armée, repris par la N.A.S.A, ton propre pays l’autorise depuis les années soixante ou soixante-dix. Il hésite.

Le couple ne conçoit pas de manger des aliments qui n’auraient pas été ionisés ; ce que tu as donc mangé ici l’est. Le couple se considère en parfaite santé. De surcroît deux cas de centenaires sont répertoriés dans la famille.

Bien sûr.

Elle est architecte. Elle continue à dessiner des plans, à construire des maisons, à créer des images pour dessiner l’état d’esprit avant l’état des lieux. Elle veut savoir ce que tu as fait à Melbourne, dans les moindres détails, si tu as visité Ballarat, un des filons aurifères et site emblématique du Victoria, la région de l’or. La richesse de son pays, elle en est fière. Elle évoque les pionniers en tournant ses bagues, des milliers d’aventuriers venus fouiller le sol pour y déterrer la fortune, à Ballarat l’or jaillissait et de Ballarat le pays entier faillit s’embraser. Elle décrit une guerre entre chercheurs d’or mais tu n’es pas attentive. Elle joue avec ses deux colliers.

Tu mens. Tu cites le guide. Pour le reste, tu te tais.

Ils avaient oublié de ranger les bijoux. Tu es partie avec. Et tu es partie en Tasmanie.

Quel sera ton état des lieux.

 

A suivre

 

Sandrine Ferron-Veillard

 


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A propos du rédacteur

Jeanne Ferron-Veillard

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Jeanne Ferron-Veillard naît le 16 septembre 1975, à Lorient. Grandit en Bretagne puis à Albi. A l’âge des grandes mutations, part sur Paris : pensionnaire à l’école de La Légion d’Honneur. Les études ? Niveau licence, quelques souvenirs en Lettres Modernes. Puis ce sera l’Angleterre où elle restera quatre années. Retour en France, entre autres responsable d’une très jolie librairie à Paris. Petit tour de France puis du monde, lit, écrit et vit depuis au même endroit incognito.