La Maison dans laquelle, Mariam Petrosyan (par Ivanne Rialland)
La Maison dans laquelle, Mariam Petrosyan, septembre 2020, trad. russe (Arménie) Raphaëlle Pache, 1073 pages, 15,50 €
Edition: Monsieur Toussaint LouvertureDans sa simplicité énigmatique, le titre du roman de Mariam Petrosyan recèle le secret de la fascination qu’il exerce. L’enveloppement dans une maison-monde, coquille chatoyante où se lovent les vies d’adolescents abandonnés. La porosité aussi d’une habitation dont les limites fluctuent dans le temps et l’espace, ouvrant des chemins de traverse à ceux qu’elle a adoptés.
L’autrice aurait passé une dizaine d’années à travailler à ce roman, commencé alors qu’elle avait à peu près l’âge des personnages, et déclare ressentir un grand vide depuis sa parution – cette même difficulté que les personnages éprouvent à sortir de l’étrange maison qui leur a servi de foyer, coquille baroque, marâtre, pour des adolescents fantasques et cruels dont les surnoms changeants symbolisent la quête d’une identité et d’un lieu propres.
Il y a quelque chose de Sa majesté des mouches dans ce grand roman de l’adolescence où les adultes ne sont jamais que des silhouettes lointaines, périphériques, sans toutefois qu’il faille y chercher une leçon, une morale : La Maison dans laquelle n’est pas un roman d’apprentissage – ou alors il serait celui d’un ré-apprentissage, d’une initiation à l’envers, qui permettrait au lecteur de reprendre pied dans l’univers perdu de son adolescence.
Bâtiment posé à la lisière d’une ville anonyme, jouxtant des terrains vagues hantés de chiens errants, abritant des enfants handicapés, abandonnés, qui se battent, parfois se tuent, la maison exerce pourtant une puissante séduction et déploie un univers qui n’est pas sans douceur. Passant d’une époque à une autre, d’un adolescent à un autre, le roman dévoile peu à peu les relations complexes et d’une profonde tendresse qui unissent jusqu’aux personnages apparemment les plus rebutants, tout en tissant un monde plein de rites, de légendes, des signes, qui s’entremêlent comme les dessins sur les murs des chambres et des couloirs.
C’est aussi un univers très visuel que celui de Mariam Petrosyan, graphiste de formation : ses premiers brouillons s’accompagnaient de dessins des personnages – faisant espérer de voir un jour paraître une édition illustrée, où l’on découvrirait la fresque de la chambre du quatrième groupe, les dessins de Léopard, le dragon blanc aux fleurs de lys peint par Chacal Tabaqui, mais aussi les silhouettes de Sphinx, la chemise posée sur les épaules, de l’Aveugle, ses pieds nus salis par la terre de la Forêt.
Chacal Tabaqui, Sphinx, Vautour, Roux, Noiraud, Bossu, l’Aveugle, le Macédonien, Fumeur… L’autrice nous fait le cadeau d’un épilogue révélant leur destin d’adulte, sans jamais nous livrer tous les secrets de la maison : elle nous permet ainsi de la hanter une fois le livre fermé, de parcourir en rêve ses couloirs, ses chambres, de se glisser dans ses fissures, de lire du bout des doigts, sans fin, ses inscriptions énigmatiques.
Ivanne Rialland
Mariam Petrosyan, née en 1969, est une écrivaine arménienne. Son unique roman à ce jour, La Maison dans laquelle, est paru en 2009 et a été traduit en français en 2016.
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