La Lumière du soir, Marwan Hoss, éd. Arfuyen. Vie saxifrage, Gabrielle Althen, éd. Alain Gorius
La Lumière du soir, Marwan Hoss, éd. Arfuyen
Vie saxifrage, Gabrielle Althen, éd. Alain Gorius
Pour dire quelques mots sur le dernier livre de Marwan Hoss que publient les éditions Arfuyen, il faut passer par divers éléments, dont le principal à mon sens est la retenue, la sobriété de l’expression et la clarté du propos. Par ailleurs, je retiens aussi le rythme calme de ces poèmes – calme peut-être dû à cette décennie qui a devancé le livre La Lumière du soir, lequel avait été précédé en 2004 par Déchirures. Pour illustrer cette impression, écoutons le poète :
Les mots se cabrent
Quelques jours d’écriture
Pour des mois de silence.
Ces vers expliquent avec beaucoup d’équilibre à quoi se livre le rédacteur, qui cherche ainsi qu’un poète oriental – je voulais évoquer à ce propos Hiroshige plutôt que Gustave Moreau – le sujet de sa capture avant la captivité du langage. Donc un univers qu’il faut saisir dans son essence. Un univers fait aussi de spiritualité, sans désinvolture, comme le ferait peut-être Georges Schéhadé.
Ainsi le divin n’est pas absent. Tu es le feu et la braise / L’incendiaire de ma vie. Vers que je rapproche de l’épître de Saint-Paul aux Hébreux : « car notre Dieu est un feu dévorant », qui évoque cette combustion d’une forme de mysticité que permet en un sens l’activité d’écrire. Nous sommes en voyage dans les flammes ivres, dont l’ébriété est une délivrance – face à l’angoisse ici, le poète oppose le silence d’écrire, une langue qui se raréfie, je dirais presque une poésie arc-boutée sur le vide et un peu sur la mort. Mort d’ailleurs, qui est peut-être un sous-texte apparent très visiblement dans le caractère orphique de ces poèmes – à la manière du bestiaire d’Apollinaire ?
À celui qui trahira notre amour
Le venin du serpent
Traversera son corps.
Ainsi le monde animal nous porte à la Genèse, ainsi qu’au feu d’écrire et de croire, fusion qui se fait grâce à la plasticité métaphorique d’une sorte de musique.
Toi que je n’ai jamais rencontré
Que sur les hauteurs de mes rêves.
Écoute ces mots
Qui roulent dans mes veines
Ils ne chantent que pour toi.
Pour conclure, cette petite soixantaine de poèmes finit sur la « ligne bleue » du dernier poème qui ouvre une perspective et laisse entendre que le travail s’accomplit encore.
Autre lecture avec un livre très court encore une fois, mélange de versification libre et de prose de Gabrielle Althen. Nous sommes là dans la vie d’un arrière-pays, un arrière-plan où une sorte de lumière se diffuse au milieu des impressions de paysages, peut-être de Provence.
Cette gaze de l’air sur le lieu délicieux, ce rien heureux et ces lignes sans mots pour onduler plus haut que les tourmentes vaines, lorsque là-bas, contre le jour trop clair, la neige sent bon le mimosa et que la liberté s’amuse sans gestes au bord de toi.
Et même si parfois quelques formules hermétiques compliquent le regard, on reconnaît quand même la capacité de la poétesse à mêler la spiritualité et le temps humain. Par exemple, le titre d’un poème,La lumière et le sang, fait bien ressentir en quoi écrire est une communion, une agape. Autre exemple de titre, Vie saxifrage – qui titre aussi le recueil – qui laisse entendre une réflexion profonde sur la capacité inouïe de la pierre à nourrir par des sédiments, une plante herbacée qui prend quelquefois le nom de désespoir des peintres. Question ici de l’esprit de la pierre qui permet l’infusion de la pierre, idée de pierre qui habite la pierre.
Allusion aussi à Andreï Tarkovski et ces travellings en contre-plongée qui filment des déchets parfois végétaux courant dans des ruisseaux d’eau argentée et bizarre.
Le bonheur jamais dit, mais une immobilité transparente et des cristaux de lait pour propager l’ubiquité inconnue de la patience sur la fourrure ensoleillée des près de l’hiver.
Ainsi se terminent pour moi ces deux lectures du jour, qui cristallisent des idées abstraites des mille choses concrètes du langage ; et de cette union, je sors un peu grandi.
Didier Ayres
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