La Loi du père, Cécilia Dutter (par Laurent Bettoni)
La Loi du père, éd. Le Cerf, mars 2019, 167 pages, 18 €
Ecrivain(s): Cécilia Dutter
À travers ce récit autobiographique poignant, Cécilia Dutter tend la main à l’enfant éplorée qui se cache sous la carapace de l’adulte pour relire son enfance douloureuse, marquée par la figure d’un père tyrannique aujourd’hui décédé, afin de mieux comprendre ce qui s’est joué jadis et réinterpréter les faits à la lueur de la maturité de la cinquantaine.
Au sein du chaos familial, comment la petite fille d’alors a-t-elle grandi et s’est-elle construite au regard de la figure emblématique du père et de sa loi despotique, ressentie très vite comme illégitime ? Quelle force de caractère a-t-il fallu à l’adolescente pour échapper à son emprise ? Quelle empreinte cet homme laisse-t-il sur la femme d’aujourd’hui, épouse et mère de deux filles ?
Ce texte, implacable mais dans lequel la tendresse affleure çà et là par petites touches, ouvre une réflexion sur les relations toxiques père-fille et, plus largement, sur les violences intrafamiliales et conjugales. Il aborde le sujet d’actualité du rapport homme-femme et s’inscrit donc dans le courant de la libération de la parole féminine.
Pour autant, il n’a pas pour objet de faire le procès du père mais se veut avant tout le récit d’une résilience, relatée pas à pas. À ce titre, l’ouvrage est structuré autour des différentes phases que l’auteur a traversées – fascination, rébellion, émancipation, scission, transmission, destruction-reconstruction – qui sont autant d’étapes vers sa libération.
Les secrets de famille intriguent et fascinent. Mais ici, sans voyeurisme, le lecteur suit la narratrice tout au long de son parcours, de l’angoisse la plus noire jusqu’à la paix retrouvée.
Sans justifier son comportement, Cécilia Dutter tente de comprendre ce père énigmatique et contrasté – aussi jovial à l’extérieur qu’oppressif au sein du huis clos domestique – en revenant notamment sur l’enfance de ce dernier et les carences affectives qu’il a lui-même subies, lesquelles peuvent expliquer en partie la colère qui l’a habité sa vie durant. Elle met ainsi au jour le cycle infernal de la violence fondée sur des blessures passées non résolues et transmises, tel un fardeau empoisonné, à la génération suivante.
Elle nous parle aussi de la place essentielle des rêves et des cauchemars dans sa reconstruction. Porte ouverte sur l’inconscient, ils fournissent en effet à l’auteur des clés de compréhension profonde de ce qu’elle a vécu.
Elle nous parle enfin de sa quête spirituelle, débutée dans sa plus tendre enfance. Face au père terrestre irascible et défaillant, c’est dans le Père céleste que la petite fille cherche une consolation. Elle relate ses premières prières d’enfant implorant l’aide de Dieu, devenu son ami et confident. Puis, peu à peu, sa quête mûrit, sa foi s’affermit pour embrasser une spiritualité universelle empreinte d’espérance.
Cependant, si cette foi l’a aidée à se réconcilier avec ce lourd passé, c’est surtout dans ses propres ressources qu’elle a su puiser ; son témoignage met l’accent sur la capacité de chacun à trouver des forces pour se sauver soi-même. Ce que l’auteur cherche à nous dire, c’est que, malgré les épreuves, il nous est possible, grâce à l’introspection et à l’analyse minutieuse des causes et conséquences liées à tout traumatisme, de rebâtir une solidité intérieure permettant de rebondir et d’avancer.
Sans nul doute, Cécilia Dutter nous livre ici son texte le plus personnel. La sincérité de ton et la fluidité de style témoignent de l’urgence qu’il y avait pour elle à l’écrire. Ce récit n’en a pas moins un caractère universel car derrière la violence des situations décrites, il retrace un cheminement de reconstruction et de pardon qui parlera au plus grand nombre. Par-delà le dévoilement de son histoire, elle ouvre son cœur pour mettre en lumière la force de la résilience et la transcendance sacrée de la vie.
Laurent Bettoni
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