La ligne de fuite, Robert Stone
La ligne de fuite, juin 2016, trad. américain Philippe Garnier, 375 p. 22,50 €
Ecrivain(s): Robert Stone Edition: L'Olivier (Seuil)
Livre paru dans les années 90, La Ligne de fuite est dans la longue série des livres écrits sur la guerre du Vietnam et ses suites aux USA. Ce roman fut intitulé d’abord Les guerriers de l’Enfer, titre repris au cinéma par Karel Reisz pour un film intéressant, dans lequel le « gueule » de Nick Nolte fait merveille. Les éditions de L’Olivier reprennent ce livre qui n’eut guère de succès à sa première édition, dans une traduction nouvelle sous la plume de Philippe Garnier. Et l’on peut espérer que cette fois le succès sera au rendez-vous, car le livre, tel quel, le mérite. Philippe Garnier, dans son élément, produit une traduction dynamique et « d’époque ». A mille lieues des approximations stylistiques de celle – erratique – de 1994, parue aux éditions Série Noire, Garnier nous donne une version impeccable, soyeuse et élégante.
On plonge donc avec délice dans un univers très années 60 – Guerre du Vietnam et puis babas cool, fumette, LSD, pop music et rock psychédélique. S’y retrouvaient des ombres célèbres de l’époque, rock stars, artistes ou Hell Angels.
Mais le roman de Stone se situe à la fin de cette période et il baigne dans l’atmosphère de cette fin d’époque, poisseuse, mélancolique et finalement effrayante. Pas seulement en raison de la drogue et des excès, mais aussi parce que planent les événements affreux qui vont la marquer à jamais pour l’histoire : L’escalade au Vietnam où les « boys » se font massacrer pour rien, dans une guerre dont ils ne comprennent le sens :
« – Après la guerre, lança Converse, ils devraient survoler la vallée de la Drang et parachuter des comics et des sandwichs au rosbif pour tous les Ma G.I. (1) Parce qu’ils doivent drôlement se faire chier ».
Et puis il y a l’assassinat de Sharon Tate et de ses amis par Charles Manson, le concert tristement célèbre des Stones à Altamont, avec son déchaînement de violences racistes contre les noirs (plusieurs morts), la mort de Jack Kerouac. Une déliquescence qui sert ici de cadre aux dérives erratiques de Converse, personnage médiocre et douteux, journaliste à la manque, dealer d’occasion.
C’est à propos de deal que se construit l’intrigue du roman. Converse, sa femme Marge et son ami Hicks vont concevoir un plan débile pour fourguer trois kilos d’héroïne. Plan tellement débile qu’il restera collé à la peau des losers que sont les trois complices.
Kerouac est présent dans l’atmosphère de ce roman, à travers l’évocation de la perte, de la chute, de l’abandon des croyances ou des certitudes. Les illusions s’envolent, l’Amérique s’enfonce dans le côté obscur de sa force. Et avec elles, ce sont tous ses enfants qui restent sur le bord de la route.
Un livre amer, qui porte en lui la nostalgie d’une candeur perdue.
Léon-Marc Levy
(1) Les Ma sont des fantômes au Vietnam. Donc les Ma G.I. sont les fantômes des soldats morts au combat
VL2
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)
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