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La Lettre Écarlate (The Scarlet Letter, 1850), Nathaniel Hawthorne (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy 05.03.25 dans La Une Livres, En Vitrine, Cette semaine, Les Livres, Critiques, Folio (Gallimard), Roman, USA

La Lettre Écarlate (The Scarlet Letter, 1850), Nathaniel Hawthorne, Folio, 1977, trad. américain, Marie Canavaggia, 368 pages

Edition: Folio (Gallimard)

La Lettre Écarlate (The Scarlet Letter, 1850), Nathaniel Hawthorne (par Léon-Marc Levy)

Écarlate est ce roman, comme la braise qui scintille dans les yeux de la mère sous l’opprobre, et ceux de la fille dont on ne sait si elle est fille de Dieu ou du Diable. Cet ouvrage brûle les doigts et ouvre la route qui mène au torrent de lave incandescente qui irrigue la littérature gothique américaine. Ce roman est un moment-clé de la littérature d’Outre-Atlantique qu’il place à tout jamais sous le thème du combat du Bien et du Mal, du péché et du remords, du châtiment et de la rédemption.

Le génie de Hawthorne est de brouiller sans cesse les lignes, d’éviter radicalement le pathos de la lutte entre le Bien et le Mal pour nous emmener dans des territoires effrayants où la morale ne trouve plus ses repères. La tentation est forte de prêter aux Puritains inquisiteurs les pires penchants mais jamais dans le roman ils ne seront les seuls acteurs du Mal, de même que la femme qui subit l’infamie de la lettre écarlate ne sera – ni elle ni sa petite fille – l’incarnation pure du Bien. Les traits se mêlent, s’entortillent, en un combat douteux dirait Steinbeck, allant jusqu’à superposer les images symboles. Ainsi la madone qui prend forme dans la femme honnie et exposée à la vue d’un public hostile :

« S’il y avait eu un papiste parmi cette foule de puritains, la vue d’une femme aussi belle, si frappante par sa parure et son maintien et qui tenait un enfant dans ses bras, aurait pu lui évoquer cette image divine de la maternité que, rivalisant d’art, tant d’illustres peintres ont représentée ».

Cette frontière glissante entre le Bien et le Mal constitue une ligne permanente dans la narration de ce roman, disparaissant et réapparaissant dans tous les épisodes du récit. Tous les personnages, principaux ou secondaires sont à cheval sur cette ligne, dépositaires de la fragilité du Bien.

Le jeune pasteur Dimmesdale, figure de la foi, du talent, de la justice, est l’auteur du mal à l’origine de toute la tragédie qui s’abat sur la jeune femme Hester, frappée du sceau de l’infamie.

Le docteur Chillingworth, ami attentif et serviable pour le pauvre Dimmesdale en détresse, est en fait son pire tortionnaire, attendant son moment pour assouvir une effroyable vengeance. Ce glissement vers le mal prend la forme d’une véritable métamorphose, avec des traces physiques.

« L’expression d’autrefois, studieuse et paisible, avait été remplacée par un air avide, scrutateur, presque farouche et pourtant circonspect. On eût dit que cet homme voulait dissimuler son air sous un sourire, mais que ce sourire le trahissait, ne flottait sur son visage que pour se moquer de lui et faire ressortir sa noirceur ».

Ces métamorphoses dynamitent toutes les certitudes des bonnes âmes : Hawthorne semble régler ses comptes avec les dogmes puritains établis au sein desquels il est né et a vécu. Le Diable prend les masques du Bien pour mieux tromper, il est le Rusé, le maître de la mascarade et il habite en chacun de nous, même au cœur des meilleurs. Au bal de Satan, il n’y a que des dupes et des trompeurs.

Et, dans ces chemins métamorphiques, il est une transformation merveilleuse, celle qui fait de la réprouvée honteuse des premières pages une figure de femme splendide, debout, indomptable. Hawthorne nous offre ainsi un des premiers portraits de femme héroïque dans la littérature américaine. Hester ajoute au courage devant l’opprobre publique une bonté d’âme qui, peu à peu, en fait la bonne fée de la communauté qui l’a condamnée. Au point même de donner à la lettre infamante un autre sens : le signifiant renvoie progressivement à un autre signifié. Le A écarlate, signe honteux, devient un signe de dévouement et de courage. « Elle s’était de sa propre main ordonnée sœur de charité ».

Roman américain, si américain ! Entre la pudeur et l’hypocrisie, la foi et la cruauté, la proclamation du Bien et l’omniprésence du Mal, La Lettre Écarlate est un moment éternel de l’âme américaine en même temps qu’un chef-d’œuvre immortel de la littérature.

 

Léon-Marc Levy



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A propos du rédacteur

Léon-Marc Levy

 

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Directeur du Magazine

Agrégé de Lettres Modernes

Maître en philosophie

Auteur de "USA 1" aux éditions de Londres

Domaines : anglo-saxon, italien, israélien

Genres : romans, nouvelles, essais

Maisons d’édition préférées : La Pléiade Gallimard / Folio Gallimard / Le Livre de poche / Zulma / Points / Actes Sud /