La honte, Dissonances#35 (par Marie du Crest)
Dis/sonances ou la revue en noir et blanc
Nous savons combien la vie des revues actuellement en France est d’une grande richesse. La revue Dissonances, fondée en 2002, témoigne comme d’autres publications à la fois d’une exigence des contenus mais aussi d’un travail de « révélateur » des écritures contemporaines. Elle a choisi autour de ses fondateurs dont Jean-Marc Flapp (actuel directeur de publication) un fonctionnement particulier fondé tout d’abord sur la variété des genres littéraires convoqués et ensuite sur une sélection par appel à textes rendus anonymes pour le comité de lecture, à partir d’un thème défini. En outre elle propose pour chaque numéro un dialogue visuel entre les textes et un(e) artiste non pas selon une simple approche illustrative mais bien plutôt selon un écho poétique fondé sur le noir et blanc et leur « entre-deux », le gris. Le numéro de l’hiver 2018 a pour thème la honte après le numéro 34 consacré aux traces.
Le mot dissonance construit une dimension musicale en tension, en incertitude tonale comme le font entendre une seconde majeure ou mineure. Ainsi les textes recueillis dans le numéro jouent-ils assez souvent sur cette sonorité en déséquilibre d’autant que la honte déstabilise, ridiculise, cherche à atteindre son anéantissement sans y parvenir réellement. La honte tient aussi de l’ironie, de l’autodérision comme celle qui étreint le narrateur du texte de Cédric Bonfils, le dernier d’ailleurs de l’anthologie : il n’est pas possible de finir sur une cadence majeure. Mais elle traverse aussi d’autres propositions comme Holodomor de Th. Pelletier qui par ce titre renvoie à la grande famine organisée par Staline, en Ukraine, et se lance dans l’évocation des victuailles des fêtes de fin d’année en France.
La sélection des textes réunit des poèmes courts comme L’insigne ; A main levée ; Cancer ; et des nouvelles plus longues. La honte semble-t-il est affaire de violence sociale comme elle transparait dans le monologue rageur d’une caissière dans Revanche, de Blaise Cabanis, ou Dans les yeux de on, de Sélène Moizan, suite anaphorique de reproches, d’humiliations diverses.
La honte aussi des gifles, des viols, des amours désespérées.
La revue dans sa construction en rubriques autour de jeux de mots met en lumière la puissance du dire toujours : dissonance, dispersion consacrée à une anthologie de citations d’auteurs célèbres sur le thème retenu, d’Annie Ernaux qui écrivit justement La Honte, à une pensée de Marc-Aurèle, et distinctions, qui rassemblent le choix des auteurs autour d’une proposition de film, de disque et de livre. Un portfolio constitue une sorte de petit catalogue des photos de Rim Battal, jeune artiste et poète, comme autant de tentatives de trouver la honte visuellement, jusque dans les chairs animales. Radiographies chirurgicales du dedans des êtres.
Puis le poète Laurent Albarracin dont le dernier livre, Res rerum, vient d’être édité chez Arfuyen, est l’hôte de l’entretien dans la rubrique dissection. Enfin les animateurs, les membres du comité de lecture « chroniquent » chacun sur un même texte (Le corps lesbien, de Monique Willig), et sur leurs derniers coups de cœur éditoriaux (cf. dissidences), avant l’ultime disgression consacrée au comique « bafouilleur », Repp, et Lacan, quant à leurs rapports au langage.
Le revue Dissonances est distribuée en librairie dans plusieurs villes de France dont Paris, Lyon, Toulouse, Nantes… ou en ligne :
http:w.w.w.scopalto.com/revue/dissonances.
Marie Du Crest
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