La folle et fausse insouciance de l’autobiographie (par Jean-Paul Gavard-Perret)
L’autobiographie n’est que le bavardage de soi-même et une farce dérisoire. Que l’auteur se contente d’y entrer en visiteur et en traînant les pieds ou comme parangon de l’humanité n’y change rien, de tels récits restent anecdotiques et ennuyeux. Cela ressemble à un décès, au souvenir anthume et niais parsemé de baisers et crachats abâtardis et résiduels théâtralisés à un profit particulier sous prétexte d’intérêt général. Cela empeste le parfum qui a tourné. L’autobiographe devient l’idiot auquel nul n’a demandé son avis mais qui l’impose. Il semble que la bêtise dispose alors d’un laisser-passer où le hâbleur prétend à un cœur mis à nu. Il écœure. Tout est inexact, sans être tout à fait faux. Qu’on se souvienne des Confessions de Rousseau. Peut-être et dans le genre le plus véridique des œuvres tendues vers sa passion des travers. Mais, même dans cet exemple des plus hauts, le pamphlet contre soi-même tourne à l’apologie permanente.
C’est aussi le subterfuge à qui juge les autres formes littéraires comme dépassées. Mais si les fictions seront considérées bientôt comme de l’histoire antique, l’autobiographie est le refuge des humanoïdes, la décadence de la littérature, elles restent préférables aux tartines autobiographiques. Elles cachent une sainte indifférence à ce qui n’est que le « moi » ou ce qui en tient lieu. Si bien que le genre emmène proche d’un nulle part assommant et qui se veut frénétique. Il a sans doute ses lecteurs. Mais de telles lectures créent un malaise.
L’autobiographie croit détendre le sens de la vie mais y a quelque chose d’anormal à ingérer cette connaissance de soi et qui se croit divine. Et si certains font la queue pour pénétrer dans de telles salles obscures, ils n’y trouveront jamais le spectacle espéré. Car en de tels textes, l’égo domine et ne ramène de la vie que des postures donc des impostures. Il manque toujours de distance et d’indifférence dans les choses qui sont exprimées par de tels doudous culturels voire cultuels. Les auteurs de ces friches ignorent le détachement. Ils ne regardent pas le monde, ils se regardent, et s’ils se dissèquent c’est avec le scalpel d’or, refusant toute dégénérescence graisseuse ou squelettique. Ils ne se voient pas. Ne divulguent au mieux que la sombre nostalgie du rien ou de pas-grand-chose. Leur sujet favori étant eux-mêmes, il n’y a guère à en tirer. Ils scrutent non le monde mais eux, et comme s’ils n’en revenaient pas, leurs yeux ne sont illuminés que du miroir où ils se contemplent.
L’autobiographie est donc une impuissance. Leurs auteurs, et comme certains explorateurs chinois du moyen Âge qui accostaient sur des côtes inexplorées, se disent qu’il n’y a rien d’intéressant que là. La littérature, la vraie, est ailleurs que dans de tels brouets. Ceux qui cultivent un tel et prétendu héroïsme n’entretiennent qu’une suffisance propre à remplir des bibliothèques d’inepties. Quelles que soient les approches différentes, tout est du même uniforme. La littérature est ailleurs et commence par un engagement éloigné des auto-permissions. Elle ne peut se contenter des miroirs. Elle les détruit : qu’on pense à Kafka ou Beckett par exemple. La patte de l’écriture gratte, elle ne caresse pas dans le sens du poil. Le glauque ou le dynamisme ne passe jamais par l’autobiographie. Il faut d’autres voies. Celles où l’écrivant devient à son corps défendant l’immigré de lui-même.
La lacune autobiographique est au pire une faute de goût, au mieux une métaphysique dérisoire. L’écrivain se fait trouffion de lui-même, s’habille de « soi », se noie dans son verre. Qu’il veut nous faire boire. A la santé lui-même. Grand bien lui fasse. Mais nous, nous quittons un tel bar à basses.
Jean-Paul Gavard-Perret
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