La folle avoine et la falaise, Michel Cosem
La folle avoine et la falaise, Encres Vives, Coll. Lieu, août 2017, 16 pages, 6,10 €
Ecrivain(s): Michel Cosem
Encres Vives participe à la vie de la poésie en France depuis plus d’un demi-siècle. Mené poésie battante par l’éditeur-poète-conteur-romancier-anthologiste Michel Cosem, le travail de recherche et de découverte se poursuit, avec une exigence dans ses choix, l’ouverture vers de nouvelles voix (nouveaux auteurs en France et à l’étranger), une quête d’auteurs francophones de tous les pays.
L’écrivain Michel Cosem évoque souvent sa région d’habitation, le Sud de la France, dans ses romans et ailleurs, en tant que « poète du bonheur intérieur » (Robert Sabatier), en tant que « Voyageur contemplatif dans l’aveuglant paradis » (Gilles Lades) avec, pour fil conducteur, une thématique liée à l’amour de la nature, de l’imaginaire, du merveilleux et du voyage. Nous ne quitterons pas cet univers dans ce nouvel opus, tout en étant de nouveau transportés dans le dépaysement (double : géographique et poétique : « géopoétique »). Un nouveau livre de Michel Cosem nous invite toujours au voyage – un Voyage féerique et familier, réaliste et poétique.
Ici, dans ce numéro 350 de la collection Lieu des Éditions Encres Vives, le Lot est célébré, où La folle avoine et la falaise se partagent à flanc des coteaux d’Occitanie des paysages de recueillement et touristiques, que le poème ouvre à nos regards par « la morsure » d’un canyon (Rocamadour, ce « pays à l’échine nue »), la promenade sur les rives de l’Ouysse (« Moulin de Cougnaguet »), la visite de communes et de villages du Massif Central, le cours des mots suivant des chemins « couverts de fruits», habités par les pierres, traversés de « ruisseaux mystérieux », « dans(ant) avec les rayons du soleil», sous un « ciel d’abeille sent(ant) la pomme et la prune », rallumés parfois par lutins et farfadets.
« Pays de murets et de racines blanches
de couleuvres fleuries
d’herbes de songes
de cigales à la gorge noire
Les pierres dans les champs nus
attendent comme des oiseaux
Nul chasseur ne passera plus
Les genévriers sont morts
et portent des manteaux de renard ».
Le Causse de Durbans
Dans le pays des causses, le poème à l’œuvre actionne sa vigie dans l’immobilité vibrante de l’espace, s’anime au marché de Figeac.
« (…)
Jeunes et vieux sont à la fête
tout comme les poulets, vivants et rôtis,
les fromages du causse, le miel d’acacia,
les petites bruyères déjà fleuries
et les mûres noires comme les filles brunes du pays
Passe toute proche sans jamais se cogner
l’Europe métisse
Nul n’ose se regarder dans le même miroir.
Puis tout recommence :
le lent remuement des marchandages
les petites dames à robe à pois
les vieilles alanguies qui soupèsent l’impossible
le bébé jaune à chapeau blanc qui pleure son chien cassé
le pull bleu comme une hirondelle
la minette aux jambes nues
les paniers solidement tressés
(…) »
L’inventaire saisonnier du Grand Sud remplit le chant des poèmes de sa corne d’abondance et les hommes – ceux-là qui se sentent vivre au marché de Figeac, dans « la beauté du matin », dans les épisodes saisonniers marqués par les métamorphoses du « labyrinthe végétal » et la présence des Bêtes, … – sous le regard immuable de la falaise vont et viennent comme la folle avoine, traversent l’existence sur les lieux desquels « (…) on repasse sans cesse / comme ce couple ténébreux qui clopine entre deux néants ».
La poésie de Michel Cosem donne à voir, fondamentalement vibrante et présente par le Regard dont les points de vue modulables suffisent à transformer la vie, le monde. Ainsi un chevreuil peut être, comme la Fleur disant son nom au poète dans l’Aube de Rimbaud, entreprise capable de modifier l’état du monde (« La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom », Arthur Rimbaud ; « Un chevreuil est sorti de la forêt boire aux premières gouttes et a remis le monde à sa place », Michel Cosem).
Ce Regard est ici déployé dans toutes ses connexions sensitives (odeurs, observation, goûts, contemplation palpable participent réciproquement à la levée des voiles posés sur l’ordinaire palpitant).
« De bon matin le soleil se lève et mange un à un les petits arbres
du causse, je croise dans la rue de Rocamadour des moineaux,
un chien blanc aux longues oreilles, des Japonais, des pierres
amoureusement lissées, des odeurs de cuir et de savon parfumé,
de gaufre et de pâté. L’air à odeur de chêne et de buis remue les
enseignes historiques, les légendes religieuses et que du fond du
canyon monte le chant d’un rossignol, la falaise d’en face guette
et l’on n’aperçoit qu’un front hirsute, captivé par tant de beauté
et d’insolite équilibre. De hautes fenêtres gothiques sont closes ».
Dans un tel monde refiguré par le regard poétique, l’ensemble des vivants existe à part entière, également, à même hauteur de sensibilité. Une poésie foncièrement à hauteur d’homme se signale ici, vigie de bienveillance, herbe folle remuée par le souffle, au pied de la falaise, sur l’arête vive de l’écriture.
« La place aux écritures
est fraîche et silencieuse
On rêve d’un temps immense
où pierres et hommes ne faisaient qu’un
Où les pensées étaient comme les fleurs
actives et parfumées
(…)
et du bout des doigts on devine
des mots prêts à étinceler »
Figeac, Place des Écritures
Murielle Compère-Demarcy
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