La Fille de l’optimiste, Eudora Welty (par Léon-Marc Levy)
La Fille de l’optimiste (The Optimist’s Daughter, 1972) Eudora Welty, trad. américain, Louise Servicen, 178 pages, 20 €
On reconnaîtrait le style d’Eudora Welty entre mille. La linéarité de ses phrases n’est qu’apparente et cache des collisions, des suites improbables, parfois même une logique narrative déroutante, faisant bifurquer des phrases d’un propos à un autre sans prévenir. Ce qui est sûr est que Welty est une Sudiste authentique. On retrouve dans ce roman son goût immodéré pour les scènes de vie archétypiques du monde du Delta, son enracinement dans le territoire et les fleuves, l’extravagance des personnages.
Et en matière d’extravagant(e)s, on peut dire que ce roman en déborde. Le vieux juge McKelva est mort et, autour de l’événement, toute une troupe de gens va s’agiter, s’époumoner, pleurer, rire, dans un vacarme étonnant et burlesque. On a en mémoire les inoubliables funérailles d’Addie Brunden de Faulkner, on peut y ajouter le tonitruante veillée funèbre autour du juge McKelva de Welty. Le cercueil exposé devient l’axe autour duquel vont se présenter des personnages hauts en couleur, sorte de défilé sudiste où l’on retrouve tant d’archétypes de la littérature du pays : le paysan obtus, les bourgeoises créoles, les parvenus infatués, les autorités stupides, etc. Mais la scène, et le roman entier, sont dominés par deux femmes.
Tout d’abord Laurel, la fille du juge. Eudora Welty met dans ce personnage, très probablement, son idéal féminin. Laurel est sage au milieu des cinglés, elle est aimante, au milieu des haineux, altruiste au milieu d’égoïstes démesurés. La mort du père est pour elle douleur et flot de souvenirs, de nostalgie de l’enfance, d’amour de ses deux parents conjugués dans son amour des livres.
« Quand Laurel était enfant, dans cette chambre et ce même lit où elle était couchée à présent, elle fermait ainsi les yeux et le bruit rythmique, nocturne, de deux vois chères qui se faisaient mutuellement la lecture montait tour à tour vers elle, de l’escalier, chaque nuit. Elle avait peine à s’endormir, elle cherchait à rester éveillée, pour le plaisir. Elle aimait ses propres livres, mais elle aimait encore mieux les leurs, ce qui signifiait le son de leurs voix. [Elle glissait vers le sommeil, sous un manteau velouté de mots au riche dessin et brodés d’or, venus tout droit d’un conte de fées, pendant qu’ils poursuivaient leur lecture à travers ses rêves] ».
Au pôle opposé, Fay, la jeune femme que le juge – impénitent optimiste – épousa après la mort de la mère de Laurel en dépit de toute sagesse. Une folle furieuse, dévorée de l’arrivisme le plus éhonté, immorale, injurieuse. Seul son destin lui importe et la mort de son époux lui fait autant de peine que la mort du chat, mais elle tient à étaler sa « douleur » de façon théâtrale. Eudora Welty n’en fait pas pourtant un personnage odieux, elle choisit l’absurde, le ridicule et, finalement, le comique. Fay est drôle dans son hystérie. Elle scande la veillée funèbre de saillies et de crises dignes de Molière ou de Wodehouse.
« Fay allongea ses deux mains, frappa le commandant Bullock, Mr Pitts et Sis, lutta contre sa mère aussi, pendant un moment. Elle montra les griffes à Laurel, s’arracha à l’étreinte du prédicateur au dernier instant et se jeta en travers du cercueil, sur l’oreiller, plongeant à l’aveuglette ses lèvres dans le visage au-dessous d’elle. Miss Tennyson Bullock la ramena de force, hurlante, à la bibliothèque où elle disparut aux regards derrière le banc de verdure. Le fauteuil de fumeur du juge McKelva resta derrière elles, renversé ».
La troisième partie du livre est apaisée. Laurel retrouve les objets, les secrets, les ombres et les lumières de son enfance. Eudora Welty y tresse une ode au temps et au territoire de sa propre vie : le Delta, terre et eaux, berceau de tant de littérature.
« Lorsqu’ils grimpèrent la longue pente conduisant à un pont, après avoir quitté Cairo, montant lentement, toujours plus haut, jusqu’au moment où ils surplombèrent des cimes d’arbres dénudées, elle regarda en contrebas et vit la pâle lumière se déployer et les lits des fleuves s’ouvrir, puis l’eau apparut, reflétant le soleil bas, naissant. Il y avait deux fleuves. C’était là qu’ils se rejoignaient. Le confluent des eaux, L’Ohio et le Mississippi ».
Dans l’étincelante lignée des grands sudistes, Eudora Welty prend une place singulière et importante.
Léon-Marc Levy
Eudora Alice Welty (née le 13 avril 1909 à Jackson, Mississippi et morte le 23 juillet 2001 dans la même ville) est une romancière, nouvelliste et photographe américaine, connue pour sa peinture du Sud des États-Unis.
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