La filière afghane, Pierre Pouchairet
La filière afghane, mai 2015, 272 pages, 18,50 €
Ecrivain(s): Pierre Pouchairet Edition: Jigal
Rarement un roman policier a entretenu des liens aussi étroits avec la réalité et l’actualité. Que l’action se situe dans la banlieue de Nice ou en Afghanistan, Pierre Pouchairet, sans sacrifier un seul instant à l’intrigue fictionnelle, sait faire partager au lecteur une expérience de terrain, accumulant les détails et les situations véridiques. Il faut tout de suite préciser que l’auteur, ancien commandant de la police nationale, chef de groupe aux stups, attaché de sécurité intérieure à Kaboul puis au Kazakhstan, possède à merveille son sujet. Son héros, Gabin, capitaine de police d’un groupe de stups au sein de l’antenne PJ de Nice, enquête avec son équipe sur un trafic de stupéfiants dans le quartier de l’Ariane. Des informations vont le mettre sur la trace d’un trafiquant Franco-Afghan qui, sous couvert de diriger une ONG, se livre au commerce du hachich et de l’héroïne en provenance d’Afghanistan. Un travail de longue haleine commence, alors que la France est secouée par une vague d’attentats terroristes.
Roman d’action flirtant parfois avec la géopolitique, La Filière afghane est un livre magistralement construit. Si l’équipe de la PJ est bien entendu au centre de l’enquête, et le personnage de Gabin le fil rouge qui relie les événements et les protagonistes entre eux, Pierre Pouchairet, au travers de courts chapitres de ce roman bâti en trois temps, réussit de manière hallucinante à donner vie, épaisseur, intérêt constant aux multiples personnages qui ont chacun, à un moment ou un autre, un rôle décisif dans le récit.
Dans un premier temps, on plonge, tête baissée, dans le quotidien de la filature des revendeurs de drogues de la cité niçoise. Plongée sans concession, où l’on se prend de plein fouet la violence de certains jeunes des cités, en marge d’une société qu’ils vomissent, et qui trafiquent, baisent et tuent sans aucun état d’âme. Incursion également dans la vie d’Ismail Güzel, le mollah d’une mosquée du quartier de l’Ariane qui, avec l’aide de Bachir Hamdani – un Franco-Afghan – directeur d’une ONG, finance grâce à l’importation d’héroïne Al-Qaïda, recrute avec difficulté de futurs djihadistes plus motivés par les percées et l’influence grandissante de l’EI que par une organisation que ces jeunes jugent déjà has been. Guerres d’influences, rivalités en tous genres. Odeur de fric, de drogue, de sexe et de sang.
Dans la seconde partie qui nous conduit en Afghanistan au moment crucial du désengagement des forces de la coalition, et suite à l’élection controversée d’Ashraf Ghani à la tête de l’état, Pierre Pouchairet livre au lecteur la vision effarante d’un Kaboul sous la menace permanente d’un attentat des talibans. Il condense les exemples précis sur la corruption, les trahisons, les oppositions tribales, mais aussi les relations délicates entre américains, britanniques, forces françaises et les membres du NIU, un groupe d’intervention composé de policiers d’élite afghans. Relégué au rôle d’observateur et de formateur de policiers du pays, le capitaine Gabin accompagné de son ami Serge, correspondant en Afghanistan de l’office des stups, doit céder la traque de Bachir Hamdani aux autorités alliées compétentes. Jouant encore de la réalité et de la fiction, l’épisode de la découverte d’un laboratoire clandestin et la saisie de quantités pharaoniques de drogues renvoie au souvenir de la prise en juillet 2011, en province de Daykundi, d’une large cache de stupéfiants et d’armes qui appartenaient à l’insurrection.
Entre documentaire et fiction, parfois on s’y perd… Il ne manque rien, ni l’absurdité de certaines situations, ni les exécutions gratuites et dommages dits collatéraux, ni les rêves un tantinet « bisounours » de certains humanitaires, ni la vie des « expats » rendus fatalistes face à la mort, mais qui organisent une soirée mensuelle dans une guest house au son tonitruant de la techno, un verre d’alcool à la main. Un récit abrupt, presque aussi sec que les yeux de ceux qui viennent de perdre un proche. Rien, oui rien n’échappe à la plume impitoyable et si cruellement réaliste de Pierre Pouchairet.
Dans la dernière partie, retour en France via l’Espagne, toujours à la poursuite d’Hamdani, avec en choc final une tentative d’attentat où l’équipe du capitaine Gabin va être confrontée à une situation hors du commun et a priori très éloignée de son domaine d’expertise. On retiendra enfin, en guise d’avertissement, l’épilogue qui nous ramène dans le quartier de l’Ariane où de nouvelles stratégies se mettent en place, bien plus perverses et inquiétantes que les précédentes. Ce roman que l’auteur a hésité à faire publier suite aux attentats de janvier 2015 – il s’en explique en début de livre – force l’admiration tout autant pour la qualité de l’intrigue, la rigueur de sa construction, que pour l’abondance des éléments authentiques ou à peine détournés qui en font le ciment.
La filière afghane, second roman publié chez Jigal Polar après Une terre pas si sainte en 2014, confirme la puissance des récits de Pierre Pouchairet, un auteur à suivre.
Catherine Dutigny/Elsa
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