La fête invisible, Gabrielle Althen (par Didier Ayres)
La fête invisible, Gabrielle Althen, Gallimard, mai 2021, 128 pages, 14,50 €
La fête du désir
Le temps, en avance d’une paix sur notre bonne volonté, attend le cœur. Pourquoi ne pas savoir que la terre est toute rouge, la nuit, quand le ciel soulève un peu sa chape et qu’un chant se réserve, né d’on ne sait où, entre le plomb de l’air et nos soupirs, et le désir, qui se sait devancé, parfois s’immobilise et s’étonne.
C’est à une poésie désirante que nous avons affaire avec le dernier recueil de G. Althen. Poèmes désirants donc, ce qui tend l’écriture sur un arc au-dessus du vide – si l’on admet que le désir crée une vacance, qu’elle lui est coextensive. L’absolu n’existe que relativement à la finitude ; le poème donc n’existe que par sa relation avec l’arrière-monde, l’univers du poète. Donc dans une dialectique entre le profond et l’apparent.
De plus, cette poésie choisit un interlocuteur. Elle noue des ligatures parfois invisibles, sous-jacentes, avec un TU où l’on reconnaît l’amour porté à ce quelqu’un, ou le VOUS qui coalise l’adresse, le doigt pointé vers un ensemble, ensemble qui prend parfois l’aspect d’un NOUS.
La lumière est offerte, mais la fête, vide, et le ciel, comme manquant. Les fleurs fleurissent seules sans souci d’être seules, tandis que le verre indifférent du paysage vous tendait une attente dont l’objet douloureusement vous incombait, car on est, malgré soi, redevable au salut invisible des anges.
Plus qu’un vide sans contours, le texte fait silence. Silence qui règne au sein des bruits qu’il désigne. Montrant le point de focale, le point aveugle de l’histoire personnelle de la poète, on trouve de vraies phrases taillées. Je dirais mieux : des phrases soufflées comme l’est le verre de Murano, travail de la langue comparable à celui du souffleur du verre de Venise. Expressions ainsi délicates et fragiles où rayonnent des points lumineux enfermés dans la gangue du poème.
J’ai aussi dans mes notes associé des mots, ce qui expliquerait mon sentiment. Donc : écrire/abriter, accueil/seuil, désigner/l’amour, désir/viduité, voyage/immobilité. Sous l’angle d’une fête, et non celle triomphante de la bacchanale, mieux consacrée aux signes d’un séjour méridional. Et s’il fallait trouver un dessin dans le tapis, comme le recommande Henry James, il faudrait le trouver au milieu même de la personne qui écrit : ici la vie suspendue, disséminée dans un accueil renouvelé.
Didier Ayres
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