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La fête des corbeaux, Thomas McGuane

Ecrit par Catherine Dutigny/Elsa 26.05.15 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Nouvelles, USA, Christian Bourgois

La fête des corbeaux, mai 2015, traduit de l’anglais (USA) par Éric Chédaille, 336 pages, 20 €

Ecrivain(s): Thomas McGuane Edition: Christian Bourgois

La fête des corbeaux, Thomas McGuane

 

La fête des corbeaux, ce sont dix-sept nouvelles et autant de superbes pochades dans lesquelles Thomas McGuane déroule les fils emmêlés des rapports des liens du sang. Rapports dont la haute toxicité façonne des êtres qui subissent, se plient passivement aux désirs des figures parentales ou tentent de s’en échapper, le plus souvent en vain, par manque de confiance et surtout d’estime de soi. Une toxicité qui se transmet inéluctablement de génération en génération, empoisonne et emprisonne les couples, détruit les enfants, fait se dissoudre les rapports amicaux et conduit les anciens, faute de solidarité, vers l’asile ou la maison de retraite. Dix-sept tranches de vies déliquescentes.

La perversité à peine voilée des relations à l’intérieur des couples, l’absence de communication véritable, les jeux malsains de pouvoir au sein de ces binômes, s’exercent avec une saisissante acuité dans nombre de ces nouvelles. Prise à témoin ou plutôt comme otage, la descendance morfle et trouve des aménagements pour survivre. Ainsi dans la première histoire, Un problème de poids, le narrateur déclare : Je ne manque pas d’affection pour mes parents, mais ces deux-là sont enfermés dans quelque chose d’exclusif au point d’être hermétiquement clos à tous les autres, y compris moi-même (p.21).

Pourtant, il accepte de rentrer dans leur jeu, de rester leur complice et finit par concéder au terme de la nouvelle : Je n’ai pas véritablement à me plaindre de la manière dont j’ai été élevé. Autocentrés comme ils l’étaient, mes parents ne savaient jamais où j’étais, si bien que je jouissais d’une grande liberté. On m’a demandé si j’ai été abîmé par cette vie de famille, et la réponse est un non mitigé (p.27).

Ce non mitigé résume à lui seul l’essence et le fil rouge du recueil, à l’exception d’Une fille de la prairie,où l’héroïne, une ancienne prostituée, prend avec courage, mais également esprit de revanche, sa destinée en main. Pour le reste, il faudra composer avec l’absence de révolte, la complicité passive, les regrets tardifs, le regard plus ou moins détaché sur les petites manœuvres destinées à nuire ou se venger, sur les secrets « honteux » qui se dévoilent au gré d’une démence sénile, sur les lâchetés noyées dans les cocktails.

Tout au long de ces récits, les sentiments étouffés par un matérialisme triomphant cèdent la place à une forme de désintérêt ou de molle attention quant au sort des proches. Indifférence et bonne conscience à peu de frais. Fuite dans des manies, dans l’alcool, la course à l’argent, ou dans le sport. La vie des héros de Thomas McGuane, essentiellement des hommes, est construite à l’instar d’une maison sur du sable (cf. La maison au bord de Sand Creek), sans fondations solides et toujours sur le point de s’écrouler. Des êtres de solitude qui, s’ils sont conscients de leurs faiblesses, de leurs lacunes, n’hésitent pas à abandonner aux bons soins du destin, au hasard des rencontres, à l’irrationnel, à des plus barjos qu’eux, les choix et les décisions qui leur revenaient en propre. Des hommes qui vivent aussi sous le joug de leurs épouses, mères ou grand-mères (cf. Ma grand-mère et moi).

Autant dire le strict opposé de l’esprit des pionniers, cher à l’auteur, et dont le thème est illustré avec brio et émotion dans Une vue dégagée vers l’Ouest ainsi que le contraire des mentalités des Indiens, anciens habitants du Montana, qui deviennent pour l’écrivain, au détour d’une simple anecdote, des références, des points d’ancrage humains et culturels, en particulier dans Les enjoliveursLe shaman, et la nouvelle éponyme du recueil, La fête des corbeaux.

L’un des plus connus des auteurs de l’école du Montana livre, comme à son habitude, quelques pages où la nature joue en contrepoint son rôle de régulatrice des petitesses et des faiblesses humaines. Sourde aux états d’âme de ces hommes qui ont oublié, à force de compromissions et de médiocres arrangements, de lutter pour survivre, elle tend ses pièges, les enrobe d’attraits aussi séducteurs que dangereux et finit bien souvent par avoir le dernier mot. Ainsi en est-il dans Camping sauvage ou encore Un vieil homme qui aimait pêcher. Mais que l’on ne s’y trompe pas. Le tragique et la désespérance sont allusifs chez Thomas McGuane. Ils font patte de velours sous sa plume et portent la marque d’un orfèvre en questions existentielles. Laissant le lecteur imaginer à sa guise des fins d’histoires le plus souvent ouvertes, pariant sur son intelligence pour distiller quelques sous-entendus et jouer du double sens, ou court-circuitant le suspense en glissant la chute quelques paragraphes après le début de la nouvelle, l’auteur déploie une prose à la musique mélodieuse, élégante, envoûtante, nostalgique, ponctuée de saillies ironiques et d’humour noir. Un véritable régal littéraire.

 

Catherine Dutigny/Elsa

 


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A propos de l'écrivain

Thomas McGuane

 

Thomas McGuane est né en 1939 dans le Michigan, d’une famille d’origine irlandaise. Il a étudié à l’Université du Michigan, ainsi qu’à Yale et à Stanford. En 1969, il publie son premier roman, Le Club de chasse, qui connaît un succès immédiat. Il est également l’auteur de scenarii pour le cinéma, notamment celui de Missouri Breaks d’Arthur Penn. Quittant ensuite la vie tumultueuse du milieu du cinéma, il part habiter dans le Montana, où, entre rodéo et pêche sportive, il continue d’écrire. Il a depuis publié dix romans, trois essais et deux recueils de nouvelles. Tout au long de sa carrière, il a reçu de nombreux prix littéraires et a été élu membre de l’Académie américaine des Arts et des Lettres en 2010. Il vit dans un ranch à McLeod, dans le Montana.

 

A propos du rédacteur

Catherine Dutigny/Elsa

 

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Rédactrice

Membre du comité de lecture. Chargée des relations avec les maisons d'édition.


Domaines de prédilection : littérature anglo-saxonne, française, sud-américaine, africaine

Genres : romans, polars, romans noirs, nouvelles, historique, érotisme, humour

Maisons d’édition les plus fréquentes : Rivages, L’Olivier, Zulma, Gallimard, Jigal, Buschet/chastel, Du rocher, la Table ronde, Bourgois, Belfond, Wombat etc.