La fenêtre au sud, Gyrðir Elíasson (par Delphine Crahay)
La fenêtre au sud, Gyrðir Elíasson, La Peuplade, 2020, trad. islandais, Catherine Eyjólfsson, 168 pages, 18 €
Deuxième volet d’un triptyque sur la solitude dont le premier est Au bord de la Sandá (La Peuplade, 2019), La fenêtre au sud est le journal d’un écrivain qui peine à écrire – ce dont on ne s’étonne guère en lisant son sujet : « l’histoire d’un couple qui se rend dans un hôtel de montagne à l’étranger pour revigorer son union ». Retiré dans une petite maison au bord de la mer, demeure d’un ami séjournant à l’étranger, il mène une vie solitaire dont il consigne minutieusement les menus faits, sur le ton de l’observation.
Dès la première page, une atmosphère sombre, épaisse et lourde est posée : maisons tassées, ciel couvert, brouillard infini, algues amoncelées… jusqu’au narrateur, qui se couvre de glace comme certaines montagnes. Tout est noir, ou gris, et même les éléments a priori anodins – nuit qui tombe, couvercle de la machine à écrire… – accentuent une sensation d’écrasement qui rappelle, l’angoisse en moins, certain couvercle baudelairien.
Dans cette grisaille fusent, çà et là, des éclats de couleur – le vert d’une « mousse singulière », le rouge d’une pierre ou de la boîte aux lettres, le jaune de quelques boutons d’or ou d’un crayon ; l’été aussi… – qui la renforcent par contraste – et réciproquement –, mais aussi des pointes d’humour – quelques remarques acides à propos de ces bons à rien d’écrivains, notamment, ou un septième seau à écoper – et des incongruités comiques : les caprices du « b » de la machine à écrire, qui sort du rang, le manque d’encre et la pâleur des lettres que tape le narrateur, miroir de son existence estompée, l’un ou l’autre personnage pittoresque…
D’autres contrepoints nuancent cette suite de fragments quotidiens et saisonniers, scandée par de brèves phrases en majuscules et hantée par « deux yeux gris tachetés de brun », notamment des bribes d’une actualité lointaine qui fait intrusion dans un univers qui lui est délibérément étranger, comme un bruit de fond en sourdine dont le son, de temps à autre et sans qu’on sache pourquoi – peut-être pour rappeler que personne ne lui échappe –, monte un peu trop fort.
Il y a quelque chose d’un peu poisseux dans ce récit, qui enduit et pénètre, si on y consent – ce qui n’est pas sans plaisir, pour qui éprouve de la sympathie pour l’espèce flottante à laquelle appartient le narrateur, ou en est un lui-même un représentant. Il y a quelque chose qui suinte : un certain genre d’ennui, c’est-à-dire de vide, de vacance, qui me plaît assez. Il y a aussi une forme de solipsisme assumé – « avarice de l’esprit », écrit l’auteur –, que menacent la fermentation et le rancissement – moins plaisant.
Il n’est pas vain d’écrire, ni de lire, un roman contemplatif, un roman sur la solitude, l’attente, l’oisiveté aussi – parée de la caution de Camus : « L’oisiveté est un bon étalon du caractère. Seul un caractère de première classe supporte de ne rien faire » – en ces temps d’agitation et de remplissage. Cela l’est d’autant moins que le ton est juste, l’écriture sobre, le rythme accordé à la lenteur des existences limbiques. Il n’empêche qu’on ne trouvera dans ce livre aucun éclairage nouveau, aucune perspective neuve, ni sur ces thèmes, ni sur l’homme ou l’existence en général – plutôt une voix singulière et une invite à porter sur le monde un regard attentif, distant, de biais surtout.
Delphine Crahay
Gyrðir Elíasson, poète, romancier et traducteur, islandais, a notamment écrit Au bord de la Sandá et Les Excursions de l’écureuil, parus aux éditions La Peuplade dans leur traduction française.
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