La douceur de la vie, Paulus Hochgatterer
La douceur de la vie. Trad. Allemand (Autriche) Françoise Kenk. mars 2012. 287 p. 22 €
Ecrivain(s): Paulus Hochgatterer Edition: Quidam Editeur
Le titre français est une sorte de parfaite antiphrase. C’est un polar sombre venu d’un pays dont les symptômes ne le sont pas moins. L’Autriche d’aujourd’hui.
Il faut dire d’entrée que le décor, une petite ville autrichienne quasi rurale, est le cadre idéal pour une plongée inquiétante dans les maux qui ravagent la société autrichienne (seulement autrichienne ?) et ses citoyens : la haine de l’autre, la xénophobie, l’individualisme. Ils font une toile de fond permanente à l’enquête sur un meurtre que se partagent un flic débonnaire, Ludwig Kovacs, et un psychiatre pour adolescents, pessimiste mais plein d’humour, Raffael Horn (« double » de l’auteur, psychologue pour enfants ?).
« Les crânes rasés avaient commencé par boire du champagne à la bouteille, puis ils avaient levé et laissé retomber les chaises. Pour finir, avec des restes de bougie rouge, ils avaient écrit sur le mur « les étrangers dehors », en chantant en chœur Ils tremblent, les os pourris. Quant à un vieil homme qui avait dit n’avoir que trop entendu ce chant dans sa vie, ils lui avaient cassé le nez avec un moulin à poivre. »
L’histoire : un homme de 86 ans est mort, le visage horriblement écrasé par on ne sait quoi. C’est sa petite-fille qui a découvert le cadavre et depuis, elle ne dit plus un mot. Commence alors un itinéraire obscur au sein de l’obscurité des âmes.
En croisant les passages narratifs et une polyphonie de chapitres à la première personne, Paulus Hochgatterer nous donne une œuvre originale dont la noirceur ne nous quitte jamais. L’inquiétude plane sur toute cette histoire, suintant de voix multiples qui disent toutes l’abandon, la solitude, l’errance de gens pauvres matériellement et culturellement. Etrange et fascinante rencontre de campagnes froides et délaissées et d’un univers mondialisé où les symptômes paranoïaques abondent. Hochgatterer distille cette noirceur dans un humour glacé non moins noir.
« Il paraît que toute la ville parle de la mort du vieil homme. Si tu meurs d’une pneumonie ou d’un infarctus du myocarde, tout le monde s’en fout, mais à peine tu te fais rouler sur la tête que tout le monde parle de toi. Sur la deuxième colonne, il y a une statue de Saint-Sébastien. Se faire transpercer de flèches, ce serait aussi une possibilité. »
La construction de ce roman relève d’une grande maîtrise narrative. On passe très vite d’un regard à un autre sur les mêmes événements, avec une sensation d’évidence technique qui broie l’événement sous la subjectivité et lui donne non pas un sens mais une signification multiple dans laquelle la détresse fait lien.
Et puis Raffael aime Madeleine Peyroux. Rien que ça pourrait suffire à faire aimer ce personnage et ce livre. Parfaite musique pour accompagner le désenchantement, l’anxiété mais aussi l’amour des hommes qui font de ce roman un univers attachant.
« Madeleine Peyroux. (…) Une voix de soul, sans maniérisme et un peu voilée par la fumée, qui lui rappelait Billie Holiday. You’re gonna make me lonesome when you go »
Très seuls. C’est le destin des êtres que l’on croise dans ce livre.
C’est aussi le sentiment qu’il nous laisse sur nous-mêmes. Sans concession.
Léon-Marc Levy
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)
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