La Désobéissance civile, Henry David Thoreau
La Désobéissance civile, mars 2017, trad. américain Jacques Mailhos, 46 pages, 3 €
Ecrivain(s): Henry David Thoreau Edition: Gallmeister
Sur un ton indigné et pamphlétaire, Thoreau s’insurge contre le gouvernement américain après avoir été emprisonné en juillet 1846, parce qu’il a refusé de payer un impôt à l’Etat du Massachussetts pour manifester son opposition à l’esclavage et à la guerre contre le Mexique. Son essai La Désobéissance civile paraît en 1849 et a inspiré nombre d’opposants à un régime considéré comme tyrannique et injuste en matière de droits humains, tels que Gandhi, Martin Luther King ou Nelson Mandela.
En ces semaines de campagne présidentielle en France, marquées par une volonté de renouveau de moralisation de la vie publique, ce texte prend un intérêt frappant.
Dès la première page, la célèbre devise « Le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins » devient sous la plume de Thoreau, en pleine réaction contre l’Etat : « Le meilleur gouvernement est le gouvernement qui ne gouverne pas du tout ».
Thoreau est absolument favorable à une formation morale du citoyen : « Je pense que nous devrions être des hommes, et ensuite des sujets. Il est moins souhaitable de cultiver le respect de la loi que le respect du bien moral. La seule obligation que j’ai le droit de suivre est celle de faire en tout temps ce que je pense être le bien ». En effet, les politiciens, législateurs, ministres et fonctionnaires « ne font presque jamais de distinctions morales » et « ils sont aussi susceptibles de servir le Diable, sans le vouloir, que de servir Dieu ».
Pour expliquer sa prise de position ponctuelle contre l’Etat, il se livre ensuite à une démonstration exemplaire, avec prémisses majeure et mineure, puis conclusion :
« Tous les hommes reconnaissent qu’il existe un droit à la révolution – c’est-à-dire le droit de refuser de prêter allégeance au gouvernement, et le droit de lui résister, lorsque sa tyrannie et son efficacité sont profondes et insupportables. […] En d’autres termes, quand un sixième de la population d’une nation qui s’est donné pour but d’être le havre de la liberté se trouve réduit en esclavage, et qu’un pays tout entier se voit injustement envahi et conquis par une armée étrangère, et soumis à la loi martiale, je crois qu’il est alors plus que temps que les hommes honnêtes se rebellent et fassent la révolution ».
Un peu naïvement sans doute, il écrit ensuite qu’il suffirait d’une poignée d’hommes honnêtes qui décident de ne plus pratiquer l’esclavage, de le faire savoir et d’aller, le cas échéant, croupir dans la geôle de leur comté, pour entraîner l’abolition de l’esclavage en Amérique.
Pourtant, Thoreau croit au bien-fondé du vote démocratique : « Tout processus de vote est une forme de jeu, comme les dames et le backgammon, relevé d’un soupçon de morale ». En outre, c’est à son corps défendant qu’il affirme avoir pris position contre le gouvernement, parce qu’il est un citoyen habituellement peu investi en politique : « Cependant, le gouvernement ne m’intéresse guère, et je m’efforce d’y accorder le moins de pensées possible. Ils sont rares, même en ce monde, les instants de ma vie que je passe en étant sous un gouvernement ». C’est pourquoi son pamphlet prend une telle force.
De sa nuit passée en prison, il retient que, pour les détenus, « la principale occupation serait de regarder par la fenêtre ».
Les dernières lignes de l’essai portent sur la valeur de la démocratie, mais d’une démocratie qui reconnaîtrait l’individu comme « une puissance supérieure et indépendante », qui le traiterait comme un voisin et non comme un assujetti, et qui accepterait qu’un petit nombre d’hommes accomplissent leur devoir de citoyens tout en vivant à l’écart de la mêlée du politique. C’est bien là la philosophie de Thoreau tout entière énoncée.
Sylvie Ferrando
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