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La dernière nuit de Claude Eatherly, Marc Durin-Valois (2ème recension)

Ecrit par Patryck Froissart 09.10.12 dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Recensions, Roman, Plon

La dernière nuit de Claude Eatherly, août 2012, 339 p. 19 €

Ecrivain(s): Marc Durin-Valois Edition: Plon

La dernière nuit de Claude Eatherly, Marc Durin-Valois (2ème recension)

Marc Durin-Valois est un romancier plaisamment surprenant ! Passer du roman d’anticipation à suspense, Noir Prophète, à la relation intimiste d’une course forcenée à l’autodestruction, Les Pensées Sauvages, et nous sortir dans la foulée ce roman américain qui paraîtrait, à qui ignore que l’auteur a vécu une partie de son enfance aux Etats-Unis, plus américain qu’eussent pu l’écrire beaucoup d’auteurs américains, constitue me semble-t-il, un remarquable tour de force !

Le récit commence par la rencontre, fortuite, dans un bled paumé du Texas, le 11 septembre (eh oui !) 1949, que fait la narratrice, Rose, jeune photographe de presse, de Claude Eatherly, ancien pilote de l’armée américaine, dont la journaliste découvre un peu plus tard le fait d’armes suivant dans un article paru l’année précédente dans le New York Times :

 

« Le major Claude Eatherly pilotait le B29 Superfortress “Straight Flush” au sein de la 393ème escadrille de bombardiers. Le 6 août 1945, vers 1h30 du matin, il a décollé de Tinian aux îles Mariannes, une heure avant l’avion “Enola Gay”, pour évaluer les conditions climatiques dans le ciel d’Hiroshima. C’est lui qui a donné le feu vert à l’avion de Paul Tibbets, “Enola Gay”, pour qu’il procède au largage de la première bombe atomique ».

Rose est immédiatement attirée par Claude Eatherly et par ce qu’il représente et se met à suivre, de près et de loin, le personnage en se persuadant qu’elle tient en lui le sujet qui fera d’elle un jour une photographe célèbre.

Tout au long de sa vie, et conséquemment tout au long du roman, elle ne cesse de se poser, de nous poser les mêmes questions, sans jamais pouvoir y répondre.

Quelles sont les raisons pour lesquelles Claude Eatherly, ancien as de l’armée, végète et dérive dans ce coin perdu ?

Pourquoi, alcoolique, drogué, se livre-t-il à des attaques minables de petits caissiers en brandissant des armes factices ou non chargées pour des butins ridicules ?

Ne cherche-t-il pas à provoquer, à se faire remarquer, à se faire arrêter, à se faire interner dans l’hôpital psychiatrique de Waco, qui lui sert de refuge mais dont il s’échappe régulièrement ?

Par la grâce de quelle occulte protection n’est-il jamais condamné par les tribunaux aux peines de prison qu’il devrait encourir pour ses « hold-up » répétés ?

Est-il sincère lorsqu’il affirme, plus tard, durant une période de sa vie où des journalistes et un écrivain allemand exploitent son histoire pour se faire connaître et s’enrichir sur son dos, qu’il est le seul responsable du massacre d’Hiroshima, et qu’il est psychologiquement « bousillé » par l’insupportable fardeau du sentiment de culpabilité qui l’en taraude, ce qui, prétend-il, expliquerait et justifierait ses écarts de conduite ?

N’est-ce pas plutôt là le comportement d’un mégalomane, qui laisse complaisamment écrire qu’il a également bombardé Nagasaki, ville qu’il n’a même jamais survolée ?

Parallèlement Rose s’interroge sur elle-même, sur les raisons de son attirance, qui se fait obsession, pour l’ancien pilote (tout ce qui concernait Claude Eatherly provoquait en moi beaucoup plus qu’un extrême intérêt : une sorte d’addiction), et se demande pourquoi elle est incapable d’abandonner l’objectif qu’elle se donne, sans jamais l’atteindre, et en y sacrifiant, souvent, sa carrière professionnelle (ce qui fait d’elle, elle en est régulièrement consciente, la portraitiste ratée d’un héros raté) et sa vie familiale, de fixer sur sa pellicule cette figure singulière dont l’image fuit, bouge, varie, et se révèle constamment insaisissable, au sens figuré comme au sens propre puisque son appareil n’enregistre jamais, en trente ans de traque, aucun des visages de son personnage.

N’est-ce pas dans la notion même de « personnage » que réside la question littéraire que pose à mon sens cette œuvre passionnante de Marc Durin-Valois ?

N’est-il pas plus facile à un romancier de créer un héros de papier qu’à faire d’un personnage réel un héros (ou, en l’occurrence, un anti-héros) de roman ?

D’où ces problèmes essentiels pour l’écrivain, pour le photographe, pour le peintre : est-il possible de saisir en un portrait l’ensemble des traits de caractère d’un individu ? Autrement dit : la nature humaine est-elle descriptible ?

Alors prendrait un sens lapidaire pour l’écrivain qui se veut « réaliste » la formule consacrée : « toute ressemblance avec une personne existante ne serait que pure coïncidence »…

Si on admet qu’un bon roman est un roman qui questionne, La dernière nuit de Claude Eatherly est un excellent roman.

 

Patryck Froissart


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A propos de l'écrivain

Marc Durin-Valois

 

Né en 1959 à Albi, Marc Durin-Valois est éduqué aux États Unis, puis en Ouganda (sous la dictature d’Idi Amin Dada) ainsi qu’à Nassau où il est scolarisé dans des écoles américaines.

Après des études en France à Sciences-Po et HEC, il devient journaliste, couvrant en particulier les enjeux Est-Ouest et le nucléaire militaire. Il collabore ensuite dans le domaine culturel et économique à de nombreux magazines, dont la revue de philosophie Archopolis, Le Figaro et Stratégies, le magazine des médias et de la publicité dont il sera le directeur de rédaction. En 2008, il est nommé dans la catégorie Paix-Humanitaire du Prix Reporters d’espoir co-organisé par Courrier International. Il a reçu le Prix Noir & Blanc de la Fondation Nationale de la Photographie pour un reportage sur Harlem.

Marc Durin-Valois est l’auteur de L’Empire des solitudes (2001) Noir Prophète (2004), Pensées sauvages (2010) et de Chamelle (2002), récompensé par le Prix des cinq continents de la francophonie, porté à l’écran sous le titre Si le vent soulève les sables.

 


A propos du rédacteur

Patryck Froissart

 

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice, et d’effectuer des missions de direction et de formation au Cameroun, en Oman, en Mauritanie, au Rwanda, en Côte d’Ivoire.

Membre des jurys des concours nationaux de la SPAF

Membre de l’AREAW (Association Royale des Ecrivains et Artistes de Wallonie)

Membre de la SGDL

Il a publié plusieurs recueils de poésie et de nouvelles, dont certains ont été primés, un roman et une réédition commentée des fables de La Fontaine, tous désormais indisponibles suite à la faillite de sa maison d’édition. Seuls les ouvrages suivants, publiés par d’autres éditeurs, restent accessibles :

-Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. Franco-canadiennes du tanka francophone)

-Li Ann ou Le tropique des Chimères, roman (Editions Maurice Nadeau)

-L’Arnitoile, poésie (Sinope Editions)