La culture du lit !, par Amin Zaoui
« La culture du lit » est une réflexion sur la philosophie du désir, d’amour, sur le charnel et sur l’intimité conjugale et amicale. Le rapport entre le lit et la création. Pas n’importe quel lit !
Le lit parle. Hurle. Raconte. Complote. Il n’y a pas plus vaste qu’un lit d’amoureux ! Le lit du plaisir est plus vaste que la planète ! plus ardent qu’une galaxie !
Le lit est un espace culturel. Mythique et corporel. Il est, par excellence, cette géographie magique sur laquelle naissent les beaux rêves, coulent les eaux roses des songes. Sur laquelle naissent les enfants. Sur laquelle naissent les beaux projets de la vie et les belles illusions, aussi.
On passe plus d’un quart de notre vie sur le lit, au lit !
Il est le lieu pour les fantasmes. Pour la méditation. Il est aussi l’espace pour les cauchemars. Il est aussi le lieu où se rencontrent et s’entassent nos livres de chevet. Quand on est seul, on n’est pas seul parce qu’au lit on voyage, par les belles lectures, avec d’autres personnes imaginées.
Il existe la belle littérature du lit, en écriture et en lecture.
Le lit a une force. Les pouvoirs à travers l’Histoire humaine étaient cousus et recousus, à l’image des contes, sur les lits. Et les guerres, les grandes et les petites, sont nées sur les lits. Le couronnement des rois et leurs semblables sont célébrés d’abord sur les lits. Et les chutes de ces mêmes rois et leurs ressemblants sont tissées et complotées sur des lits ! Des têtes coupées selon des jugements prononcés par des tribunaux installés sur des lits ! Les complots sont les draps des lits ! Il y existe des complots et il y existe des complicités !
Si les Français ont la tradition de la culture de la table. Dires et discours autour d’une table. Déjeuner de travail. Dîner de travail. Même le cinéma français est bourré de séquences de table. Le corps ne pense à lui-même, ne se repense que s’il est dans un miroir, ou allongé sur un lit !
Les Arabes, quant à eux, durant leur belle époque, ont développé la tradition de culture du lit, dans la poésie du vin, la poésie amoureuse, dans le conte intelligent, dans le génie de sa naïveté populaire. Cette culture du lit représente une forme de résistance contre le religieux enfermé et enrhumé qui guette la société et ronge les âmes humaines.
À mes yeux, le meilleur livre universel que l’humanité a produit restera les Mille et Une Nuits, le livre qui représente l’âge d’or de la culture du lit. Cette culture ne signifie pas la consommation aveugle du charnel.
Le lit nous a légué une civilisation littéraire remarquable. Le lit par son mysticisme, son charnel poétique et avec son sens politique demeurera l’espace qui a contribué à l’émergence d’un lexique féminin symbolique et très codé !
Le lit c’est aussi la patrie du parfum et du baroud !
La culture populaire algérienne mentionne, et très clairement, l’importance de cette culture du lit dans et sur l’imaginaire du vécu, ainsi un proverbe dit « Les murmures des coussins sont annonciateurs des grognements des guerres ».
Aujourd’hui, dans ce temps où règne la culture de l’intolérance, de l’intégrisme politico-religieux, de l’hypocrisie sociale et intellectuelle, une guerre est déclarée contre la belle culture du lit.
Les puristes sont de retour. Le lit, à leurs yeux, est transformé en un lieu de passe ! Le plaisir est un harem, un péché, un impur ! L’amour charnel est un illicite ! Les nouveaux enfants naissent dans l’obscurité ! La génération de la noirceur !
Les puristes sont de retour, dans la littérature et dans la critique littéraire. Ils condamnent. Etendard de la morale dans une main et épée de l’hypocrisie dans l’autre, ils accomplissent leur travail de police religieuse islamiste (chortat el amr bi el marouf wa annahyi ani el mounkar). Faisant guerre à l’amour et toute fête du corps humain. Portés par la culture de l’hypocrisie sociale, les puristes cherchent à rendre le lit en espace aveugle ! Un lieu sourd !
La société qui ne respecte pas ou qui maudit la belle culture du lit enfante des petites proies à l’obsession, à la violence et à la haine.
Quand la culture magique du lit est chassée, les lits se métamorphosent en ruines et les femmes et les hommes en cadavres sous des draps de honte et de silence ! La glace !
Amin Zaoui
In "Souffles" Liberté Alger
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