La Controverse de Valladolid, Jean-Claude Carrière (par Anaé Balista)
La Controverse de Valladolid, Jean-Claude Carrière, 140 pages, 4,40 €
Edition: Flammarion« J’ai vu des cruautés si grandes qu’on n’oserait pas les imaginer. Aucune langue, aucun récit ne peut dire ce que j’ai vu ».
En ces quelques lignes résident les horreurs de tout un siècle. Un cauchemar historique dont les stigmates sont encore présents dans notre société actuelle : la conquête des Indes. C’est au sein de cette atmosphère étouffante que Jean-Claude Carrière tisse une pièce de théâtre à la tension croissante. Lire La Controverse de Valladolid, c’est se plonger dans les affres et les tourments d’une époque qui n’avait pas encore adopté la raison pour principe directeur et qui s’en remettait encore à la religion catholique pour décider du sort de millions de personnes. On remonte le temps pour arriver en 1550, dans un couvent espagnol à Valladolid, autour d’un débat passionné sur l’une des questions majeures de cette période : les Indiens possèdent-ils un âme ?
Trois hommes nous sont alors présentés. Bartolomé de Las Casas, fervent défenseur de la cause indienne dont on se sent immédiatement proche. Son adversaire, Sépulvéda, un érudit hostile à ces êtres qu’il considère comme « inhumains ». Enfin le dernier personnage central n’est autre que le Légat du Pape, l’arbitre et le juge final du débat.
La Controverse de Valladolid c’est d’abord une lecture qui nous instruit sur un débat dont on ne sait historiquement que peu de choses. Il est vrai que l’évènement raconté par Jean-Claude Carrière a réellement eu lieu une soixantaine d’années après la découverte du nouveau monde. Si le sujet débattu était le même, la finalité de la vraie controverse nous reste très floue et sans importance historique, ce qui n’est pas le cas dans la pièce. Le dramaturge est donc là pour donner vie à cette confrontation, en inventant un déroulement et une fin qui retourne le lecteur tant elle peut paraître à la fois ironique et abjecte. Ce récit fictif retrace la vie des amérindiens et les courants de pensées européens de cette époque, ce qui nous permet de reconstruire une atmosphère et un contexte historique au fur et à mesure de la lecture. On apprend ainsi les différentes pratiques des indiens (leur mode de vie, leur façon de se nourrir…) et l’infâme traitement qu’ils subissent, le tout dans un langage soutenu et religieux, mais dont les descriptions restent très crues (viols, tortures…).
Dans un but didactique, on y aborde des sujets essentiels en ce temps comme la colonisation, le sort des indiens, la guerre… Mais il faut admettre qu’un thème domine les autres, omniprésent et régissant les moindres faits et gestes des personnages : la religion catholique. C’est par la religion que tout passe, elle est en soi la question centrale de l’œuvre. Tout au long de l’histoire, le lecteur est taraudé par la question suivante : comment au nom de Dieu peut-il être fait de tels massacres ? Cette interrogation réveille alors une multitude d’émotions chez le lecteur, des plus violentes aux plus profondes. De la révolte, « Ces indiens sont de sauvages féroces […] il est nécessaire de soumettre leur corps à l’esclavage », au dégoût, « Dans certains camps on voyait des étalages, des boucheries de chair humaine ! », en passant par la peine, « Eh bien ces créatures en sont venues à ne plus aimer la vie ». Autant de ressentis qui sont nécessaires pour comprendre la pleine portée de la pièce.
Au final, La Controverse de Valladolid est une œuvre brillante par laquelle Jean-Claude Carrière nous plonge dans l’horreur amérindienne, sombre héritage de notre monde. Elle nous ouvre les yeux sur les atrocités de la colonisation tout en nous questionnant sur les actes dont est capable l’humain. Rien n’est plus sûr au cœur de ce huis clos à la tension croissante, et l’issue de cette confrontation, si décisive soit-elle, pourrait bien se révéler surprenante…
Anaé Balista
Jean-Claude Carrière, né en 1931, est un écrivain, scénariste, metteur en scène et dramaturge français. C’est en 1957 que paraît son premier roman, Lézard, récit qui sera rapidement suivi d’autres. Jouant sur plusieurs fronts, Carrière ne tarde pas à faire son entrée dans le monde du cinéma notamment grâce à sa rencontre avec le cinéaste Pierre Etaix, puis dans le monde du théâtre où il adapte et rédige de nombreux scénarios. Il reçoit de multiples prix, dont un oscar d’honneur aux Governors Awards en 2015, avant de s’éteindre le 8 février 2021 à l’âge de 89 ans.
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