La Confession d’un voyou suivi de Pougatcheff, Sergueï Essenine
La Confession d’un voyou (1921) suivi de Pougatcheff (1921)traduit du russe par Marie Miloslawsky et Franz Hellens, préface de Franz Hellens
Ecrivain(s): Sergueï Essenine Edition: L'Âge d'HommeSergueï Essenine fait partie de ces poètes russes dont le lyrisme enflamme et illumine nos représentations – plus ou moins imaginaires – de l’enthousiasme révolutionnaire d’octobre 17, l’exaltation politique et artistique que l’on aime y découvrir. Une Révolution qui consuma aussi les poètes, musiciens, cinéastes, peintres dont elle avait elle-même fait ses icônes. Pour la poésie, son nom brille aux cotés de ceux d’Anna Akhmatova et de Vladimir Maïakovski. Au-delà de la légende qui nimbe pour beaucoup d’entre nous ces poètes à la fois adulés et maudits, de leur vivant même, quelques traducteurs nous permettent de découvrir vraiment leur œuvre.
Il faut dire que Sergueï Essenine, mort à tout juste 30 ans, rassemble bien des éléments de la mythologie du « Poète » : une œuvre inscrite dans l’histoire de son temps, une vie qui semble vouée toute entière à l’œuvre et qui n’aura pas le temps de s’épuiser dans les honneurs ou l’oubli. Né dans les dernières années du XIXe siècle, sont œuvre s’affirme au moment même où la Révolution prend son essor. Il côtoiera quelques-unes des grandes figures cosmopolites de l’époque (il fut brièvement le mari d’Isadora Duncan lorsque celle-ci vint dans la toute jeune Union Soviétique) et sa vie s’achèvera par un suicide plus ou moins suspect.
Ce que l’on découvre en lisant ces confessions, c’est d’abord un poète à la fois révolté et profondément enraciné dans une Russie essentiellement rurale, paysanne, avec des notes qui ne sont pas sans évoquer la bohème rimbaldienne.
Je suis las de vivre au pays natal.
Dans mon désir énorme des espace de blés,
Je laisserai là ma cabane,
Je me ferais va-nu-pieds ou voleur.
J’irai, sur les cheveux bouclés du jour,
Chercher ma pauvre habitation,
Et sur moi mon camarade aimé
Aiguisera la lame de son couteau.
Le poète est voyou, comme le vent. Il passe et emporte avec lui les odeurs et les douleurs, mais reste malgré tout attaché aux bêtes et aux hommes, au pays et à la terre. Le fils de paysan qui a basculé dans le monde cosmopolite et mondain garde les pieds dans la campagne et les champs, ne reniant nullement ses origines et donnant à entendre la voix de ce monde, sa misère et ses grandeurs.
Mais n’aie pas peur, vent fou,
Crache en paix les feuilles sur la plaine ;
Mon surnom de poète ne m’effacera pas :
Dans la chanson, comme toi, je suis un voyou.
Inutile de chercher dans ces textes la glorification du monde industriel et du mécanisme propre à cette époque que certains vivaient comme prométhéenne, pleine d’un « avenir radieux ». Le jeune mondain reste l’héritier de la terre et de ceux qui y vivent, n’en reniant rien. La poésie d’Essenine nous est alors d’autant plus précieuse, donnant à entendre des voix que le fracas révolutionnaire a souvent recouvertes. Un monde qu’il sait déjà menacé de disparition.
Le lien à l’histoire, celle des hommes et des bêtes, l’attachement à celle-ci, on le retrouve dans Pougatcheff, texte théâtral en huit tableaux qui raconte la révolte de ce cosaque qui s’éleva contre le pouvoir de la Grande Catherine, 1773-4 et finit vaincu et décapité en 1775. La parole du poète s’y fait épique et semble venir d’un temps où les bardes chantaient les héros légendaires dans une langue riche d’images, de bruit, de fureur. Elle rejoint celle des grandes épopées, celles de la Grèce antique ou de l’ancienne Scandinavie. Si l’on oublie le contexte historique de ce drame, on peut aussi entendre dans les dialogues de ce court drame d’étranges résonances avec la situation de la Russie d’alors, en train de devenir URSS, de ses héroïsmes et de ses dérives futures. On peut cependant regretter que l’éditeur n’ait pas pensé à ajouter une petite introduction à ce texte, permettant au lecteur qui n’est pas spécialiste de l’histoire de la Russie de mieux appréhender l’héritage sur lequel celui-ci s’inscrit.
On peut aussi apprécier le lyrisme et la force de ses textes en eux-mêmes, au delà de leur contexte historique. Ils sont assez forts pour se passer de toute explication.
Si tu as faim, tu seras rassasié,
Malheureux, tu seras gai et content
Mais ne regarde pas les yeux large ouverts,
Mon frère terrestre et inconnu.
J’ai fait comme je l’avais pensé,
Mais hélas, c’est toujours la même chose ;
Mon corps, sans doute, est trop habitué
A ressentir le froid, à grelotter.
Marc Ossorguine
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