La Condition magique, Hubert Haddad
La Condition magique, Zulma, coll. de poche, 18 septembre 2014, 288 pages, 9,95 €
Ecrivain(s): Hubert Haddad Edition: Zulma
« L’erreur des cartésiens c’est de séparer la pensée de l’imaginaire. Il n’y a pas de pensée sans imaginaire. Dans un roman, ça ne m’intéresse pas de faire une coupe. Je veux qu’on traverse un monde. Quant au romantisme, je crois qu’on y reviendra toujours : le romantisme, c’est la passion. Ce qui ne tient pas, c’est la pose »
Hubert Haddad
L’auteur est né à Tunis en 1947 et suit l’exil de ses parents quelques années plus tard, à Belleville, Ménilmontant, puis dans les banlieues populaires. Il est à la fois poète, romancier, nouvelliste, dramaturge, essayiste, peintre et illustrateur. Il explore, depuis son premier recueil de poèmes, Le Charnier déductif, en 1967, toutes les voies de la littérature, de l’art et de l’imaginaire. Pour Haddad, la poésie a vite pris une place particulière : « multiple et exclusive dans ses investigations tant verbales que plastiques ».
Sa pratique multiformes d’écriture, ajoutée à son expérience dans l’animation d’ateliers d’écriture, l’ont conduit à écrire Le Nouveau Magasin d’écriture (2006, éditions Zulma), sorte d’encyclopédie en action de la littérature et de l’art d’écrire. Suivi, en 2007, du Nouveau Nouveau Magasin d’écriture, dédié à l’action imaginative à travers deux cents gravures choisies pour leur pouvoir d’évocation. Après une investigation des domaines du fantastique sous un jour assez cru, tendance hyperréaliste, l’auteur écritPerdus dans un profond sommeil (1986, éditions Albin Michel) et publie L’Univers, roman dictionnaire, œuvre-monde, en 1999 chez Zulma. S’ensuivent des éclats de littérature, fragments scintillants, trempés au zirconium, à reflets prismatiques et variables : Oxyde de réduction (2009, éditions Dumerchez), Géométrie d’un rêve (2009, éditions Zulma), Le Peintre d’éventail et Les haïkus du peintre d’éventail, poèmes (2013, Zulma).
Au sujet de l’idéal de redonner une place en littérature à l’imaginaire dans sa dimension ontologique, à ses pouvoirs infinis, Hubert Haddad, accompagné d’écrivains comme Jean-Luc Moreau, Marc Petit, Georges-Olivier Châteaureynaud, Patrick Lainé, Frédérick Tristan, déclare : « Nous sommes contemporains des mythes. Les mythes nous traversent. Il y a ce fond abyssal de l’imaginaire. En plus, pour moi, la poésie est essentielle. Il n’y a pas de littérature sans poésie. La poésie, c’est nos coordonnées dans l’univers ».
Paru en 1997 et salué doublement par le public et la critique (Grand prix du roman de la SGDL), La Condition magique fait sa ressortie en poche. C’est un ouvrage de l’entre-deux, de l’antre de la folie et de l’importance de la raison tout aussi dévastatrice, où la sociabilité n’est plus en rapport avec l’habitabilité au monde mais où « Toute chose disparaît dans sa propre apparence » (Le peintre d’éventail).
Dans le livre, Haddad en appelle à l’imaginaire, à une exagération de l’irréel, à la poésie pour servir un roman de « fin de siècle », d’un monde révolu et qui, pour le moins, n’a pas encore atteint son paroxysme ; qui n’appartient pas encore tout-à-fait au néant :
« Hiel regarde monter la mer des nuages sous un faisceau d’aiguilles translucides. Des mourantes réfractions illuminent les orgues des glaces où la turbulence improvise des mélodies. Lumières et ombres dispensent des contrastes somptueux entre les abysses bleutés et les sommets que les nues éparses étayent sous un ciel d’enlumineurs tout émaillé d’étoiles en plein jour. Pareille magnificence n’advient-elle jamais qu’à l’instant perdu de vivre ? »
Hubert Haddad rassemble une palette de personnages disparates, singuliers, qui tous sont menés par une quête d’eux-mêmes, dictés par le deuil de l’être aimé, par le deuil de toute pensée, par les fausses croyances sectaires dictées par des automatismes ésotériques et séculiers. Vous y croiserez une jeune Suédoise, Marghrète, perdue pour avoir voulu échapper au rêve fou de son père richissime industriel, animé par l’unique espoir de redonner vie à une épouse disparue dans les sommets du toit du monde vingt ans auparavant ; Desargues, une professeure de philosophie désabusée, qui enseigne Descartes, devenue l’image d’un théâtre d’automates, préférant l’ombre d’elle-même à la lumière ; Hiel, un étudiant qui communique avec son frère par « des gouffres informes qui se bousculent sous des cimes de cristal. Découpé en ombre chinoise, le cyclope cornu de sa paume guidait le passage vers l’autre côté, dans le faux jour de l’irréalité ».
Toutes les images, les descriptions de paysages, la nature, le démon de l’appartenance, des apparences, ont pour fonction de métaphores, mais pas de métamorphoses. « Négatifs » de l’état d’esprit des personnages, d’espaces hallucinés qui sont paradoxalement les seuls moments de connexion, de respiration, elles sont dans La Condition magique comme la traversée d’un monde en parallèle à la pensée de l’imaginaire.
L’histoire nous entraîne au sommet de l’Himalaya pour mieux aborder les rivages du néant. Un espace qui en appelle un autre, car celui-ci, mécanisme cartésien du monde aux côtés de l’âme, tantôt opaque tantôt transparent, ne peut être sauvé, sans jamais vraiment faire Un. La cime des volontés conduit alors irrémédiablement chacun dans le nulle part des êtres égarés, pour qui ne sait différencier, dans sa vie, ce qui est songe de ce qui est réalité.
Le savent-ils vraiment ? Le désirent-ils seulement ?
« Aimer, aimer ?
Balbutia-t-elle au sortir d’une rêverie amère.
Aimer n’est-ce pas mourir ? » (Palestine)
« Les rêves n’ont pas plus de sens que la vie » (La Condition magique)
Article écrit par Marc Michiels pour Le Mot et la Chose
https://twitter.com/lemotlachose
https://www.facebook.com/lemotetlachose.blog.lemonde
- Vu : 3712