La cité des anges déchus, John Berendt
La cité des anges déchus, trad. (USA) Pierre Brévignon, Ed. L'Archipel, 390 p. 22 €
Ecrivain(s): John Berendt
« Attention, chute d’anges ». En exergue à son magnifique ouvrage, John Berendt prévient son lecteur en évoquant cet énigmatique panneau qu’il a vu à côté de l’église Santa Maria della Salute, avant sa restauration. Et justifie le titre de son livre.
Amoureux de la cité des doges où il est venu à plus d’une dizaine de reprises, John Berendt a débarqué à Venise au début du mois de février 1996, trois jours après l’incendie qui a ravagé l’opéra, La Fenice. Il y trouve là le prétexte pour nous faire pénétrer dans les mystères, les fastes, les ruelles et, pour finir, la déchéance de la Sérénissime.
Tandis qu’il suit les méandres de l’enquête consécutive à l’embrasement, il nous emmène au plus profond de la cité mythique et nous invite dans l’intimité de personnages pittoresques. Le poète Mario Stefani (378) qui écrit ses poèmes sur les palissades provisoires en bois et affirme que « si Venise n’avait pas de ponts, l’Europe serait une île ».
Le fantôme d’Henry Jammes qui séjourna au Pallazzo Barbaro hante La cité des anges déchus. Quoique inconditionnel de Venise, John Berendt ne se laisse pas aveugler par sa passion et il décrit les Vénitiens sans faire de concession.
Mais il ménage encore moins ses compatriotes américains : au travers de la Fondation « Save Venice », ils ne cherchent guère à sauver la Sérénissime mais veulent surtout se montrer en compagnie de nobles déchus ou de vedettes éphémères. Comme les Rylands qui, sous le fallacieux prétexte de faire « des affaires » pratiquent surtout de la « gérontophilie sélective » auprès de la trop riche Peggy Guggenheim ou de la dernière maîtresse d’Ezra Pound dont ils subtilisent les archives.
Subtil mélange de polar, de récit et de roman, La cité des anges déchus décrit une ville mythique à l’architecture sublime mais qui abrite des illuminés ou des parasites. Et des familles qui se déchirent comme les fils d’Archimède Seguso, le maître verrier de l’île de Murano.
Tout semble réel sous la plume de John Berendt mais est-ce vrai ? Car il ne faut pas oublier ce que lui confie le comte Marcello : « Nous autres Vénitiens ne disons jamais la vérité. Il faut toujours comprendre le contraire de nos paroles ». Difficile de démêler le vrai du faux, le récit de l’imaginaire, tant tout semble minutieusement rapporté.
L’ouvrage s’achève le soir où La Fenice (le Phénix) renaît, une nouvelle fois, de ses cendres. Elle a été reconstruite à l’identique grâce aux plans qui ont été préservés et au film de Visconti, Senso, qui y a tourné la scène de l’insurrection italienne contre l’occupant autrichien qui se place pendant une représentation du Trouvère de Verdi lorsque le ténor chante un des plus célèbres airs du répertoire « Di quella pira ».
Quand on connaît Venise, La cité des anges déchus donne une irrésistible envie d’y retourner. Quand on ne la connaît pas, d’y courir.
Et d’y dormir ; ce n’est pas à Venise que l’on trouve le pire des sous ponts.
Fabrice Del Dingo
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