La cité de mon père, Mehdi Charef (par Philippe Leuckx)
La cité de mon père, Mehdi Charef, éditons Hors d’atteinte, août 2021, 144 pages, 16 €
Ce septième roman de l’auteur est un cri d’écriture et de vie, lancé par un adulte qui est resté l’enfant algérien de là-bas, qui continue d’évoquer le pays quitté pour l’exil.
Arrivé en France avec sa famille, huit enfants dont l’une, Amaria, restée au pays, en terre familière, Mehdi a connu les cités de transit, la laideur et la misère du bidonville de Nanterre.
Un jour, ce fut un autre décor, avec salle de bain et eau courante, « la cité de mon père », un fameux changement.
Dans ce roman-récit autobiographique, l’on sent sans cesse cette ferveur du fils pour le père, qui connaît dans le corps les tressaillements du marteau-piqueur, pour la mère, courageuse. Rien n’est faux dans cette description des années noires, du rappel incessant des heures d’Algérie, du temps des colons et de la guerre meurtrière.
L’auteur intercale des pages pour sa sœur, à laquelle il s’adresse, se confie, pour qui il peut dire ce qu’il ne dit pas aux autres. Il est adolescent, il va au lycée, il a les cheveux longs, il aime la musique de Joplin, de Hendrix. Il veut écrire, laisser trace. Il est farouchement indépendant, et pourtant toujours solidaire des autres.
Les lieux sont décrits avec justesse et réalisme. Il a connu le bidonville, les chaussures crasseuses pour arriver en classe. Il a connu les remarques désobligeantes, le racisme ordinaire, les insultes. Il a survécu et s’est taillé un corps. Il a des pages magnifiques sur ce corps, sur les caresses qu’il peut offrir ou prendre, sur les orgasmes qui lui donnent des milliers d’étoiles dans la tête.
Charef est un témoin insigne de ces années-là, du passage entre deuxième et troisième génération des populations immigrées ; il a enregistré les mutations ; il a participé lui-même à ces changements de mœurs, de vie, de société.
L’écriture ici, vibre, exacte et précise pour dire ce que le cœur porte comme histoire douloureuse, comme germes d’espérance aussi. En un phrasé bref et prenant, le style relaie la vie de ce témoin pacifique, qui n’a pas peur de dire ses blessures et ses bonheurs. Aucune rancœur, aucun ressentiment ne viennent écorcher cette beauté de la langue pure comme un cœur qui aime. Les mots chantent sous sa plume « pour donner du baume au cœur » comme il le signale à sa sœur aimée et disparue.
Il décrit son travail en usine, sa vie dans « le bel appartement » du HLM, ses amis, sa vie en dehors de la tribu, sa place dans un lycée où il est le seul de « peau basanée ».
La poésie des lieux et des visages, la référence aux livres cultes qui l’ont nourri (Driss Chraïbi), l’imprégnation fidèle de sa culture font que ce livre, peu épais, est un récit bouleversant et sincère.
L’indigène a créé. L’indigène a poursuivi sa route. Il a fait œuvre de beauté et de sentiment. Le relief filial de l’ouvrage le hisse haut.
Philippe Leuckx
Mehdi Charef est un cinéaste et écrivain français d’origine algérienne. Il est l’auteur du célèbre Thé au harem d’Archi Ahmed (1983), de La maison d’Alexina (1999), et de Rue des Pâquerettes (2019).
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