Identification

La chaise numéro 14, Fabienne Juhel

Ecrit par Martine L. Petauton 18.04.15 dans La Brune (Le Rouergue), La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman

La chaise numéro 14, février 2015, 280 pages, 21 €

Ecrivain(s): Fabienne Juhel Edition: La Brune (Le Rouergue)

La chaise numéro 14, Fabienne Juhel

 

« La mission : il s’agissait de se rendre en ville pour tondre une putain, la femme avait couché avec l’ennemi. Pas plus compliqué que ça… Ils avaient dit oui. Ils étaient partants ».

Le sujet : cerné comme dans une tragédie de l’âge classique, mené avec ces unités de temps, de lieu, qu’on trouve chez Corneille. Les femmes tondues, en France, à La Libération ; les excès de l’Épuration, comme on dit en Histoire, quand – et ce n’est que normal – on repousse en paragraphe de fin ces moments-là dans l’ombre de la Résistance ou de la Collaboration. Parce que l’essentiel en termes de quantité et d’importance est ailleurs. Jusqu’à un livre comme celui-ci, où l’éclairage change d’objet, et, où passe, à travers l’incarnation, le chagrin et pas mal d’humanité ; de quoi retenir son souffle.

Fabienne Juhel, souvent, écrit des récits à couleur fantastique, parfois épiques à souhait. Là, elle livre une sonatine – quelques instruments, où dominent les pleurs du violoncelle, quelques couleurs comme dans un Goya – dominante le blanc sur fond sombre. Sobre et rigoureux est ce conte moderne, aux airs de tragédie inéluctable.

Un village de l’Ouest. Le cabaret « La petite bedaine », ses nappes à rayures rouges. Une rue, le coiffeur… La Jeep des Maquisards, son bruit de freinage qui amène la justice immanente à l’antique : « Le peuple était prêt à rigoler de l’infortune d’une Marie-couche-toi-là qui avait bu le champagne avec les verts-de-gris ». C’est de la fille du cabaretier dont il s’agit ; belle, rousse, donc diablesse, ayant vu disparaître son amoureux, galonné allemand, avec l’arrivée des Alliés. Une Marie, drôle d’héroïne ; pour autant, magistrale héroïne, en plus, obsédée par le sens caché des nombres, et fascinée par les cris des Corneilles.

La scène est prête ; la pièce peut commencer. Acte premier, que Juhel décline en courts chapitres nerveux : La jeepLa robeLa chevelure. Nous sommes complètement extérieurs à ce qui se passe – « qu’on la tonde ! » ; nous sommes voyeurs avec la foule. Marie est vêtue de blanc, comme pour des fiançailles, et sa parure fauve, aux mains du coiffeur-tondeur : « la main d’un assassin, pas celle d’un justicier », a des allures de noces barbares. Assise sur une des chaises de l’auberge – la 14 – fabrication allemande…

Acte 2 : la recherche. On retrouve une Fabienne Juhel, ayant le goût de l’étrange, et de la campagne de ces pays de l’Ouest. On part, on marche, ça et là. On chasse. Le rythme change, la musique aussi : carnaval bruyant de tambours, pour ces pages. Marie, « tête nue d’un oiseau déplumé aux yeux fixes et graves », portant la chaise 14 comme un bouclier ou un étendard, ourdit une bien systématique et obsessionnelle vengeance, de celui-là, à cet autre ; il les lui faut tous, inlassablement. On reste dans le théâtre, celui des Grecs anciens à présent et de leurs Erinyes.

Acte trois, dernier acte : la morale ? Plus que le dénouement sans doute. Rassemblement des pièces à conviction, et solde de tout compte auprès d’un Louis Guilloux, apportant le regard de la littérature, donc de sa distance, sur cette fin d’époque. C’est l’acte du verbe, après ceux des gestes, ouvrant sur le futur – optimiste. La musique, ici, tire sur les moments lents d’une symphonie romantique (peut-être pas Allemande). Tout au long de ce roman/récit mené de main de maître, on aura hésité sur le genre ; conte ? fable ? tragédie classique et parfois grecque… Et si on disait, simplement, histoire racontée, à bas bruit, de l’autre côté des grandes pages d’Histoire…

 

Martine L Petauton

 


  • Vu : 4268

Réseaux Sociaux

A propos de l'écrivain

Fabienne Juhel

 

Fabienne Juhel est bretonne. Née en 1965, elle a écrit plusieurs romans, dont «  A l'angle du renard », prix du roman Ouest France / étonnants voyageurs.

 

A propos du rédacteur

Martine L. Petauton

Tous les articles de Martine L. Petauton

 

Rédactrice

 

Professeure d'histoire-géographie

Auteure de publications régionales (Corrèze/Limousin)