La Cathédrale des noirs, Marcial Gala (par Cathy Garcia)
La Cathédrale des noirs, Marcial Gala, Belleville éditions, octobre 2021, trad. espagnol (Cuba) Maïra Muchnik, 240 pages, 19 €
« SI T’ATTERRIS ICI, C’EST POUR LA VIE, quelqu’un l’avait écrit sur le mur d’une maison, et c’est vrai que le quartier était chaud, vraiment chaud »
D’une construction fort originale, La Cathédrale des noirs, avec ses airs de simplicité et son humour caustique de quartier populaire, se bâtit sur une succession de témoignages qui dessine de plus en plus clairement une réalité trash et sanglante. Nous sommes à Cienfuegos, la « perle de Cuba », sa fameuse baie et ses plages adulées par le touriste, mais dans La Cathédrale des noirs, nous ne verrons pas la plage, juste quelques virées au quartier blanc de Punta Gorda pour y vendre de la viande et quelle viande !
Les faits qui sont au cœur de ce roman se déroulent à Punta Gotica, quartier pauvre, quartier noir, avenir barré, vilaines combines, drogue, alcool, sorcellerie, putes et criminalité. Punta Gotica est un quartier où on pisse sur la tête de l’ennemi vaincu.
« Naître noir, c’est déjà être dans le pétrin, alors imagine si en plus tu dois vivre dans les baraquements d’un quartier pareil », raconte Alain Silva Acosta, psychologue doté d’un master en gestion d’entreprise et dans la mouise comme tous les autres.
C’est là que vient emménager la famille Stuart et ses trois enfants : la splendide Johannes, et deux garçons, David King qui sera vite surnommé Le Grillon, et le plus jeune, Samuel Prince, le tout beau, le tout doux, mais Bárbaro Suárez Rosales que cette douceur insupportait et qui avait voulu le surnommer Gélatine a vite compris à ses dépens qu’il y avait de la férocité qui couvait chez le poète.
Le père Stuart est un patriarche visionnaire, illuminé par sa foi, pas un tendre, mais un dur et sévère qui fiche des raclées à son aîné au nom du droit chemin, et il a un projet grandiose, soutenu par des pasteurs de plusieurs États nord-américains : la congrégation du Saint Sacrement, une de ces innombrables églises évangélistes, qui a son pasteur déjà à Cienfuegos. Ce projet, c’est une cathédrale du Saint Sacrement, celle qui sera surnommée la cathédrale des noirs, une construction toujours plus démesurée et sans fin.
Et puis il y a donc Ricardo Mora Gutiérrez, alias le Gringo, et son acolyte La Porcasse. Le Gringo, ils sont nombreux à témoigner à son propos, et lui-même témoigne souvent et on suivra son parcours jusqu’à l’injection terminale. Un parcours marqué par l’avidité. Avidité d’amour, d’argent, de reconnaissance : puissant sceau de damnation. Et parmi tous ces personnages hauts et chauds en couleurs et pour certains surtout en noirceur, il y a les fantômes, les morts qui sont restés esclaves du palero, le maître, le « parrain » d’El Gringo, et plus tard aussi de Samuel Prince.
Le Palo, religion afro-caraïbéenne proche de la Santeria et du Candomblé mais d’origine bantoue mélangée d’éléments de spiritisme, de magie et de catholicisme. Le Palo fonctionne par la manipulation de deux forces : la Lumière et les Ténèbres, et dans La Cathédrale des noirs, rares sont ceux qui peuvent échapper aux Ténèbres.
Âmes sensibles s’abstenir donc, Marcial Gala nous embarque dans la peau des habitants de Punta Gotica et ce n’est pas un voyage touristique.
« Dieu n’en voulait pas. Dieu n’en voulait pas de cette cathédrale, et tout est devenu confus ».
Cathy Garcia Canalès
Marcial Gala est né à La Havane en 1965 et vit aujourd’hui entre Buenos Aires et Cienfuegos. La Cathédrale des noirs, son troisième roman, a été élu meilleur roman cubain en 2012 et lauréat du Prix Alejo Carpentier. Il conte les grandeurs et décadences d’un peuple qui aspire à une profonde spiritualité, mais qui sombre dans ses contradictions. Gala est déjà considéré comme l’une des voix cubaines les plus originales de sa génération.
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