La carte perdue de John Selden, Timothy Brook
La carte perdue de John Selden, Sur la route des épices en mer de Chine, mars 2015, trad. anglais (Canada) Odile Demange, 293 pages, 21 €
Ecrivain(s): Timothy Brook Edition: Payot
Sur la trace de la carte perdue
« Le livre que vous vous apprêtez à lire s’intéresse à une autre carte, la carte de Selden, ainsi nommée parce qu’un certain John Selden, juriste anglais, l’a léguée à la Bodleian Library d’Oxford en 1654. Cette carte chinoise, la plus importante des sept derniers siècles, représente la partie du monde que connaissent les Chinois de ce temps, c’est-à-dire la superficie qui s’étend de l’océan Indien à l’ouest aux îles aux Epices à l’est, et de Java au sud au Japon au nord ».
Dès la préface, le ton est donné. Il ne s’agit pas d’un roman d’aventure ou d’investigation, mais d’un ouvrage atypique dont le héros principal est une vieille carte longtemps reléguée dans les tiroirs obscurs des bibliothèques. De type essai mais adoptant une trame romanesque, La Carte perdue de John Selden happe l’imagination et la curiosité du lecteur. En effet, l’auteur, en fin chercheur, nous conte les mésaventures de la carte. Mais de quelle carte s’agit-il ? Timothy Brook nous livre l’histoire secrète d’une carte de Chine datant de 1608 et dont le détenteur est un étrange personnage, le sir John Selden.
« Plus j’examinais cette carte, plus j’étais troublé. Elle ne ressemblait à aucune carte chinoise de la dynastie Ming (1368-1644) que j’avais pu voir. Rien ne collait. Pour commencer, elle couvrait davantage d’espace au-delà de la Chine que n’en montraient d’ordinaire les cartes Ming. Elle représentait en effet non seulement ce que le peuple des Ming considérait comme sa patrie, mais la vaste région environnante située par-delà ses frontières, du Japon, dans l’angle supérieur droit, à Sumatra, en bas à gauche. Les Philippines et Bornéo étaient là où l’on pouvait s’attendre à les trouver, au large, dans l’océan. Le contour familier du littoral du Vietnam était lui aussi dessiné, tout comme la péninsule malaise et les plus grandes îles de l’Indonésie actuelle ».
Et Timothy Brook de continuer, surpris et interloqué devant cette trouvaille :
« La cartographie chinoise possède certaines conventions sur la manière de représenter ces lieux, le plus souvent entassés et aplatis autour de la masse continentale de la Chine. Ces conventions avaient certes commencé à évoluer vers la fin de la dynastie, mais aucune carte Ming, même tardive, ne ressemblait à cela. Votre première leçon d’histoire des cartes vous enseigne que les cartes sont les copies d’autres cartes. Or celle-ci n’était la copie de rien que je connusse ».
Son enquête fait resurgir des royaumes et empires disparus telle que la Cour de Jacques 1er et ses intrigues. La Chine et ses monarques ressuscitent. La lecture devient de plus en plus haletante et le lecteur part lui aussi à l’aventure grâce au talent de Timothy Brook, expert, sinologue et conteur sans pareil. En effet, il a su avec La carte perdue de John Selden aborder des notions ardues tel que le droit international marin avec un vocabulaire clair et précis. Les explications sont simples. Ainsi, le lecteur ne ressent que de la curiosité et non de l’ennui face à un exposé juridique et scientifique des faits. Les hypothèses avancées quant à l’intention de John Selden lorsqu’il entre en possession de cette carte sont avancées avec prudence. Le dernier chapitre réserve des surprises au lecteur qui prend part aux interrogations de l’auteur sur l’existence de cette carte, sur les secrets qu’elle semble receler…
En conclusion, bien que cet ouvrage ne soit pas un roman, son auteur a su attiser notre curiosité et nous a rendus des cartographes en herbe. Sa modestie reste prégnante devant ce que sa quête lui enseigne :
« Les recherches à propos de la carte de Selden ont été plus alambiquées et plus compliquées que je ne le prévoyais quand je les ai entreprises, plus proches aussi du labyrinthe tortueux que de la ligne droite (…).
Mais nous sommes finalement arrivés à l’origine de la carte – enfin, plus ou moins. Avec un document comme le nôtre, sans signature ni date, l’exploit n’est pas mince. Bien des expéditions historiques se perdent en mer avant d’atteindre leur destination. Peut-être la nôtre n’est-elle pas tout à fait arrivée à bon port, mais nous pouvons tout de même être contents de nous : nous avons rendu à la carte de Selden un peu de l’histoire qu’elle avait perdue il y a plusieurs siècles ».
Espérons que la lecture de cet ouvrage par un grand public permettra à la fameuse carte de Chine méridionale d’être enfin connue et appréciée à sa juste valeur.
Victoire Nguyen
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