La brodeuse de Winchester, Tracy Chevalier (par Philippe Leuckx)
La brodeuse de Winchester, juin 2020, trad. anglais, Anouk Neuhoff, 352 pages, 23,50 €
Ecrivain(s): Tracy Chevalier Edition: Quai Voltaire (La Table Ronde)
Neuvième roman de Tracy Chevalier, La brodeuse de Winchester, relève du même genre romanesque que ses succès précédents : La Jeune fille à la perle, et La dernière fugitive. La romancière souhaite évoquer une période historique, bien documentée, et y greffer une histoire à l’intrigue disons modérément romanesque. Le talent de romancière historique convient bien à cette plume qui, de manière fluide, selon une narration riche en événements, conte des parcours de femmes, dignes d’intérêt et révélateurs sans doute de pans d’histoire à découvrir. Ce nouveau roman, tout axé sur le personnage de Violet Speedwell, célibataire de trente-neuf ans, secrétaire de son état, décrit une période bien précise. On est en 1932, 1933, en Angleterre, et l’époque est grave puisqu’on parle sans cesse d’un nouveau chancelier et de son parti nazi en Allemagne.
Violet vit depuis peu à Winchester, venant de Southampton, y laissant sa mère et son frère Tom, marié à Evelyn. La famille a perdu à la guerre un frère. Violet y a laissé aussi son fiancé Laurence. Deux expériences, qui ont un rapport étroit à la cathédrale de Winchester, vont bouleverser la vie de Violet. Vie jusque-là ancrée dans la précarité : elle mange peu par obligation, à cause de son maigre salaire, et loue une petite chambre en ville. Intéressée par les « sonneurs de cloches » de l’édifice, Violet entre en communication avec l’un deux, Arthur, marié, la soixantaine. Entre eux très vite se noue un lien indéfectible.
Autre fait marquant : Violet apprend peu à peu le métier de « brodeuse » au sein d’un groupe de femmes qui se réunissent dans la cathédrale et qui ont pour dessein de créer des coussins et agenouilloirs. C’est là qu’elle se lie d’amitié avec Gilda, Dorothy. Sa vie, jusque-là morne, sans relief, devient « la vraie vie ».
Très documentée, et basée en grande partie sur la vie très réelle de Louisa Pesel, brodeuse de Winchester, l’histoire ravit par son romanesque, ses bons sentiments, et par sa belle description de personnages attachants : Arthur, Gilda, Violet brillent par leur générosité. L’intrigue leur doit beaucoup. On est dans une période de tabous, et Arthur, marié, voit Violet en cachette ; sans compter que Gilda et Dorothy, au grand dam de la population, sont lesbiennes. Le roman a l’art de nous plonger dans cette période passée, avec ses codes, ses bienséances, les réputations à tenir, le rang à garder.
Le vent du romanesque balaie les réticences et l’on est de plain-pied avec l’héroïne Violet qui, en dépit de toutes les difficultés et des aléas de sa morne existence, réussit à faire tout doucement sa place. On sent la romancière du côté de ces femmes, souvent mises à l’index, ou oubliées, ou renfrognées dans des rôles ingrats. Une pointe de féminisme bienvenu colore ces pages bien écrites, à la narration enlevée. On garde de la lecture nombre de scènes qui emballent le lecteur : les promenades en vélo de Violet en compagnie d’Arthur ; les démêlés de Violet avec sa mère ; les rencontres volées entre Arthur et Violet ; le climat intimiste des séances de broderie, etc.
Un roman au vrai sens du terme, dépaysant et d’un moralisme de bon aloi. Un vrai retour au romanesque.
Philippe Leuckx
Tracy Chevalier, née à Washington en 1962, vit à Londres depuis 1984. Elle est, après le succès foudroyant de La Jeune fille à la perle, l’auteur aussi de huit autres romans, La Dame à la licorne (2003), Prodigieuses créatures (2010), La Dernière Fugitive (2013)…
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