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La Bible de ma mère, Emmanuel Godo (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi 06.10.22 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, Roman

La Bible de ma mère, Emmanuel Godo, éditions de Corlevour, Revue Nunc, juin 2022, 112 pages, 17 €

La Bible de ma mère, Emmanuel Godo (par Yasmina Mahdi)

 

Marqué par le temps

La Bible de ma mère est un récit marqué par le temps, une image du temps, comme l’annonce Chris Marker dans La Jetée : « Ceci est l’histoire d’un homme marqué par une image d’enfance. (…) il pensa avec un peu de vertige que l’enfant qu’il avait été devait se trouver là aussi, à regarder les avions. Mais il chercha d’abord le visage d’une femme, au bout de la jetée. Il courut vers elle. (…) il comprit qu’on ne s’évadait pas du Temps et que cet instant qu’il lui avait été donné de voir enfant, et qui n’avait pas cessé de l’obséder, c’était celui de sa propre mort ». D’une autre manière rétrospective, Emmanuel Godo remarque sur la très ancienne Bible de la mère, qu’« avec le temps le cuir a pris des couleurs de pierre et de bois peint », puis une inscription encore visible sur la droite : « La Parole de Notre Dieu demeure éternellement, Esaïe XL, 8 ».

Du dimanche à Orly, du visage féminin et de l’énorme livre saint abîmé, c’est la même racine qui puise à un trajet anthropologique, image qui rassemble le moi dispersé – ici l’image de la Bible Ostervald de la mère (sacralisant du coup la mère et le livre). Comme une pierre d’achoppement, l’image accroche le réel de l’enfance en un moment précis, donnant accès à un bonheur symbolique. Une résonnance particulière revient en écho à la mémoire de l’auteur, où chaque Noël est marqué par la parole de la mère, en « une sorte de rituel juif qu’elle avait inventé ».

L’auteur nous livre l’histoire éminemment singulière d’une Bible, faisant office d’arbre généalogique, contenant entre ses pages la phylogénèse fantasque d’une saga familiale. La fiction maternelle, sa nostalgie des princes et des princesses « amis », des beaux objets et des maisons royales, vont permettre au fils chéri de construire un texte littéraire, bercé par cette fable : « la mère appelait cela dans sa langue le totem de votre père (…) pour que mon père ne soit pas qu’une figure absente dans le paysage mais une bouche parlant à travers la sienne, une bouche raccordée à la grande source du Verbe ». La partie émergente du passé s’anamorphose, se déplie, se déploie ou se dissout dans des miroirs déformants, brouillant les perceptions. Et c’est entrecoupée de citations bibliques que s’égrène une partie de la vie familiale, au fil des naissances et des morts, « des bribes de récit (…) de l’arbre des années ». L’écrivain se questionne : à quel espace appartenons-nous réellement ? ; puis : « Qu’est-ce qui reste du réel quand on l’isole de toutes les fables que nous habitons ? ». Le chapelet des souvenirs que l’on égrène est celui d’un temps perdu à jamais, car « si on le regarde avec les lunettes de l’objectivité, tout s’est envolé ou presque ».

Comme le prédit Daniel (dont le nom signifie « Dieu est mon juge »), « les faux dieux s’évanouiront, gorgés de sang et d’orgueil comme des tiques, les rois aux pieds d’argile aussi, et la vérité triomphera », et seuls subsisteront « les livres écrits en marge du présent » – constat sur l’aporie du langage de la littérature contemporaine. Les instants évanouis ont à la fois le goût âcre des larmes et fabuleux de l’éternelle jeunesse. La mémoire olfactive est autant prégnante que la mémoire visuelle. La Bible de ma mère, c’est la complainte du fils à la mère et au père absents à travers une étrange archive, une Bible-relai, ressemblant à ces très anciens registres de paroisse annotés de faits divers et de comptes. Là, il s’agit des contes de la mère « fabuleuse affabulatrice (…) échotière de l’autre temps ». Cependant, pour l’auteur, « C’est le prélude de l’éternité, qui commence en nous ».

 

Yasmina Mahdi

 

Emmanuel Godo, né à Chaumont-en-Vexin en 1965, est un poète, écrivain et essayiste. Agrégé de lettres, docteur ès lettres, il est professeur de littérature en classes préparatoires au lycée Henri IV de Paris. Il est aussi universitaire, enseignant à l’Institut catholique de Lille.

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A propos du rédacteur

Yasmina Mahdi

 

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rédactrice

domaines : français, maghrébin, africain et asiatique

genres : littérature et arts, histoire de l'art, roman, cinéma, bd

maison d'édition : toutes sont bienvenues

période : contemporaine

 

Yasmina Mahdi, née à Paris 16ème, de mère française et de père algérien.

DNSAP Beaux-Arts de Paris (atelier Férit Iscan/Boltanski). Master d'Etudes Féminines de Paris 8 (Esthétique et Cinéma) : sujet de thèse La représentation du féminin dans le cinéma de Duras, Marker, Varda et Eustache.

Co-directrice de la revue L'Hôte.

Diverses expositions en centres d'art, institutions et espaces privés.

Rédactrice d'articles critiques pour des revues en ligne.