La Bête, son corps de forêt, Perrine Le Querrec (par Jean-Paul Gavard-Perret))
La Bête, son corps de forêt, Editions Les Inaperçus, juin 2020, 48 pages, 7 €
Ecrivain(s): Perrine Le Querrec
Les mots de Perrine Le Querrec lorsqu’ils parlent des femmes sont souvent chargés d’ombre. Solidaire de celles qui furent des victimes à diverses époques (femmes tondues à la libération par exemple), elle écrit dans la faille du temps comme dans les espaces d’enfermements en renversant les données de l’asile – il est fait chez elle non pour protéger le dehors de leur dedans, mais leur dedans du dehors.
Pour autant, dans un second volet de son travail, l’auteure quitte les moments de désolation et de dégradation pour oser une écriture de l’éros. Les corps sont là sans fard. Et si Beckett a écrit « Il faut dire des mots », Perrine Le Querrec ramène à la surface de la page non les vestiges mais les vertiges d’un corps qui écrit, et tout tremble.
Michaux a d’ailleurs posé la question du tremblement, mais l’auteure va plus loin : elle inscrit – à travers une forêt qui n’est pas celle des songes – le poids de la chair et des gestes les plus évidents. Dès lors, à la question de Barthes : « L’on pense toujours parole mais d’où vient-elle ? », Perrine Le Querrec répond que le corps jouissant est engagé dans l’acte d’écrire. Pour autant rien de pornographique dans le propos de la poétesse. Certes elle entraîne en un pur et voluptueux sillage vers la clairière espérée d’une forêt qui n’a rien de noire. Au-dessous des branches les corps cèdent « Here. Just for a few. Both satisfied, comme aurait dit Purcell. Ou jusqu’à l’épuisement par l’abandon là où », écrit la créatrice, « ta vérité (est) dressée contre ma vérité / la tanière de tes pieds / terre aux extrémités ».
Ecrire confronte non comme trop souvent à l’absence de corps mais à la rencontre la plus libidinale qui soit au moment où l’aimée est emportée par celui qui arrive en l’île d’Elle. Chacun cherche à se perdre, à disparaître dans l’autre pour mieux se retrouver là où « Soulevée sur nos dos / La terre brûlante tu sens ça vit ça rampe / Ça s’accouple / Je vis je rampe m’accouple / À l’unisson ». Et ce dans le trop et le jamais assez. Mais pour autant, à la crudité font place des sensations extra-terrestres qui s’épousent à dos de bête. Elle n’est plus centaure ou satyre. Mais la forêt elle-même qui devient cap et cadre d’une union qui d’un cas particulier, devient général.
Jean-Paul Gavard-Perret
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