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La Barque criblée, Marie-Françoise Vieuille (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx 21.01.21 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

La Barque criblée, Marie-Françoise Vieuille, éd. La Tête à l’envers, novembre 2020, 66 pages, 15 €

La Barque criblée, Marie-Françoise Vieuille (par Philippe Leuckx)

 

Le thème de l’embarquement (pour Cythère ou ailleurs) est une préoccupation littéraire. Souvent, les écrivains voient le large, les flots comme signes de voyages. Ici, dès le titre, la poète désigne une barque.

Une barque, impropre au voyage, « criblée », qui « bute » : métaphore d’une dérive chagrine.  Et pourtant, pour ramener « ce corps » perdu, il « faudra ramer » plus qu’il ne faut, jusqu’à atteindre « l’île » : autre métaphore.

Une longue barque noire amarrée à la terrasse d’un petit hôtel cogne à intervalles réguliers le ponton de bois où elle est amarrée.

« Cœur vieilli », plein d’ombre, un « cœur qui implose » : la poète a peine à s’avancer, « corps qui s’affaisse, s’épaissit ».

Les jeux d’enfants revenus frôlent l’effroi.

La nuit peut descendre et la barque s’enfoncer insensiblement dans l’eau noire.

Sur le pont l’abandon règle ses comptes.

Absurde espoir. On voudrait que le précoce prunus se dépouille à la toute fin de l’automne, après tous les arbres du jardin.

Le cœur près de se rompre : quelque événement grave a dû se produire, et il faut coûte que coûte écrire pour désengorger le chagrin, pour retrouver ce peu de beauté.

La poète se retrouve « sans visage », sans contours. Comme dans les œuvres de Schubert, cité, le poème laisse place à la mélancolie, et les eaux sont comme la parure de ce sentiment vif. Tel un monde sourd, à l’aune des vagues, telles sont les émotions ressenties, vitre heurtée, matin « d’octobre lent à dissiper la nuit ».

Les titres des poèmes disent assez cet univers encombré : « surdité », « mauvaise mémoire », « prolifération », « cauchemar », etc.

C’est ailleurs « creuser plus loin la douleur comme on incise au plus profond l’enveloppe d’un mal ».

C’est dire la noirceur ou l’angoisse des perceptions.

Y a-t-il un refuge ? L’amour est-il disparu ? Que reste-t-il « sans rien savoir du temps » ?

La poète « sait qu’elle ne s’embarquera plus » et pourtant, quelques poèmes en prose disent assez la liberté conquise et l’espoir même « dans le demi-jour », même de « s’abandonner à une paix au bord de l’endormissement ».

Une sensibilité écorchée se dévoile là, en demi-teintes, sans brusquer, en décrivant tout simplement l’attente « sur un chemin pierreux », « vers l’oubli de tout ».

Ce premier recueil – l’auteure est essayiste – a déjà un phrasé sûr, et l’on peut espérer que son auteure nous donnera encore à lire ces effusions contrôlées, ces émotions bridées par une pudeur qui préfère les allusions au lyrisme échevelé.

Oui. Il y eut d’autres juins.

 

Philippe Leuckx

 

Marie-Françoise Vieuille est un auteur français. Elle a entre autres écrit : Essai sur l’art lyrique Proust et les juifs. Elle avait publié à La Tête à l’envers un recueil de nouvelles, Ai nostri désir, en 2014.

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A propos du rédacteur

Philippe Leuckx

 

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Philippe Leuckx est un écrivain et critique belge né à Havay (Hainaut) le 22 décembre 1955.

 

Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature française, italienne, portugaise, japonaise

Genres : romans, poésie, essai

Editeurs : La Table Ronde, Gallimard, Actes sud, Albin Michel, Seuil, Cherche midi, ...