L’Usage de l’imparfait, Maxime H. Pascal (par Didier Ayres)
L’Usage de l’imparfait, Maxime H. Pascal, éditions Plaine Page, coll. Calepin, juillet 2019, 170 pages, 15 €
Poésie de la menace
C’est grâce à une écriture acérée, voire acide parfois, que peut se rendre accessible ce livre singulier, lequel, sans doute, est conçu pour être proclamé. Et le mot acidité va bien sous ma plume, car il est question dans le sous-texte de l’ouvrage de la menace qui pèse sur notre planète, et ainsi en partie d’une déploration de « l’acidité » des sols soumis au fracas de la pollution. Bien sûr, ce n’est là qu’une façon de faire avancer ces lignes, sachant d’ores et déjà que le recueil dresse un constat, et que le fond et la forme de cet Usage de l’imparfait se déploient autour des questions du réchauffement climatique, des catastrophes industrielles, de l’accumulation dangereuse des déchets, des méfaits des produits toxiques. L’imparfait est le temps d’une vision d’aujourd’hui qui s’adresse aux temps à venir – ce qui pousse le présent vers le passé – et se comprend comme l’imperfection de nos conduites à l’égard de l’équilibre de la nature. De cette façon, cet opuscule tient ensemble à la description des effets de la pollution, et à engendrer une littérature poétique. Quant à L’Usage, là aussi nous pouvons disserter.
L’usage, c’est-à-dire la facilité que donne la pratique d’une langue, signifie l’usure due à la cupidité humaine, qui détruit en un abîme irrémédiable le biotope de l’homme, qui détruit au sens propre les langues dont le sort ressemble à celui des espèces animales ou végétales, promises à l’éradication définitive.
je regarde des herbes
je fais chauffer de l’eau
le lac s’évapore il se vaporise
je ne peux pas coucher des herbes dans l’eau défunte
dans l’eau disparue
je ne peux pas chant funèbre
je cherche élégie
Cette « menace » qui pèse sur notre monde offre une possibilité pour une langue poétique, qui va, disons, de l’explication à l’énumération – cette dernière étant la plus ancienne forme d’expression écrite de l’humanité, pour les très anciens mésopotamiens qui cherchaient à conserver des traces des qualités et quantités des produits, notamment agricoles. Le langage est mis au rang de la menace qui accable la nature, et ainsi autorise physiquement la langue. Rien ne peut remplacer autant de périls sur les espèces – la disparition d’une part irrattrapable, de la chose morte pour toujours en l’homme –, sauf peut-être en un sens, la poésie, sorte de conservatoire de l’humeur humaine.
le langage est harcelé
il n’est pas au service des forêts détruites
ni des voix dans les bouches
ni des eaux farouches
les fleuves sont muselés
sommes-nous imprimés par le langage assailli
est-ce que j’y suis disposée ou disponible
enfumoirs des omniprésences visuelles
retourner le langage est une affaire pour les affaires
En ce sens, ce livre est une espèce de pamphlet contre la brutalité et le danger que fait courir un système économique sur la biodiversité. Ainsi, le texte peut facilement se transformer en performance orale, en laissant aller les colères, la violence, en cherchant l’empathie immédiate du public. Cependant, il s’agit d’un livre. Et cela permet de feuilleter des images qui scandent le recueil. Que l’on passe d’une représentation graphique d’une espèce de séisme – Fukushima – aux reflets des eaux vénitiennes – rappelant l’enjeu des eaux, de la fonte des glaciers – à la combustion presque noire du fusain ou de l’encre – qui duplique au sens strict la déforestation –, toutes ces images abstraites sont une preuve que l’alerte est imminente. Ce livre est ainsi une œuvre polygraphique qui gagne beaucoup à être lue, et peut-être aussi, prononcée.
Didier Ayres
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