L'or des rivières, Nimrod
L’or des rivières, 2010, 126 p. 13 €
Ecrivain(s): Nimrod Bena Djangrang (Nimrod) Edition: Actes SudL’Or des rivières est un roman en sept récits. On peut le lire en commençant par le quatrième « chapitre » intitulé Les arbres. C’est, me semble-t-il, le moyen d’apprécier d’emblée le projet rare qu’accomplit Nimrod. Ce projet, le poète tchadien l’énonce dans le troisième récit intitulé Le retour : « Mon voyage n’avait pour unique objet que celui d’inscrire ma présence dans le paysage ». C’est le retour d’un « orgueilleux qui a les poches vides » dans un pays où la guerre, sporadique, dure depuis trente ans, dans un Tchad dont les paysages, jadis, émurent André Gide. Et comme Gide autrefois, Nimrod décrit en se décrivant et en se voyant sentir. Il parvient ainsi à ne pas rendre les armes devant une réalité qui est faite à la fois de beauté et de laideurs.
Face au pays dont, sans en avoir l’air, il n’escamote rien des afflictions, Nimrod oppose donc sa sensibilité et son esprit. C’est plus qu’un simple rempart. L’affaire est d’importance. Ce n’est pas impunément que le poète remet les pieds là où il est né. D’emblée, il s’agit de défendre et de se défendre. Les gens ici sont occupés à faire des révolutions ineptes, à rouler en Land Cruiser, à ignorer la beauté des lieux où ils se démènent ainsi. En réalité, le poète est au front. Dans Voyage au Congo, André Gide s’exclame presque : « A présent je sais ; je dois parler ». Par ces mots, il ne signifie pas qu’il doit s’engager, prendre parti, combattre, mais plutôt se défendre contre l’horreur de ce qui est, affirmer l’intégrité de son esprit.
En revenant au Tchad, Nimrod, écrivain affiné, sait d’instinct qu’il pénètre dans une arène – la métaphore de la tauromachie est longuement développée dès le premier récit. « Ma personne, elle, fait sourire sous cape, je n’en tiens pas compte, car la beauté – si éparse dans ce paysage de sécheresse – me rassure. On la méconnaît familièrement, cette beauté ». Cette méconnaissance, c’est ce zébu fou furieux qui fonça un jour sur lui quand il était enfant.
Les arbres, quatrième récit donc, bref, concis à souhait, illustre cette altérité douloureuse. Le poète, en débarquant de l’avion, est tout étonné de ne plus voir les caïlcédrats du centre-ville qui, jadis, lui faisaient comme « une haie d’honneur de leurs branches » ! Perplexe, il interroge le taxi. Quels arbres ? lui réplique-t-on. Il n’y en a jamais eu là. Il insiste, et se fait rembarrer : « Refaites vos bagages ». Celui qui est d’ici ne (se) pose pas ce genre de questions.
Ce récit énonce abruptement un affrontement inévitable. Ce pays, auquel on lui dénie ainsi d’appartenir, est pourtant le creuset des émotions du poète ; telle rue, tel moment de la journée lui fait revivre les joies de l’enfance – la complicité avec la mère, le premier amour, une partie de pêche en compagnie du père, souvenir d’autant plus précieux que le père, décédé, avait toujours été si peu présent à la maison… Et le poète doit s’incliner ? Oublier les caïlcédrats ? Torero élégant, Nimrod sait que c’est toute sa personne qui est comme un chiffon rouge, et qu’il doit « triompher du pays ». Ce n'est pas à lui de céder.
Théo Ananissoh
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