L’ombre de la girafe, Éric Poindron
L’ombre de la girafe, Bleu autour, Coll. Céladon, juin 2018, Image de couverture Michael Sowa, 112 pages, 13 €
Ecrivain(s): Eric Poindron« Quand j’étais enfant, mon père me racontait qu’il vivait, enfant, au milieu des girafes. C’est toutefois mon grand-père qui est le plus grand responsable de ce petit livre, même si mon père y est sans doute pour quelque chose, ainsi que son grand-père si je me souviens ».
L’ombre de la girafe est une affaire de famille et donc de littérature, famille je vous aime en pleine savane sous l’œil des girafes. Éric Poindron est un écrivain à la mémoire vive et à l’imagination sauvage. C’est un collectionneur qui habite un grenier sans poussière, mais riche de fantômes, de papillons, de peaux de bêtes, de sabliers, de livres très anciens, de mappemondes, de sabliers, de miroirs curieux, de chats dormeurs, de mille objets glanés dans les savanes urbaines qu’il parcourt du pas léger du poète iconoclaste et aventurier. L’écrivain amateur de Champagne compose une galerie unique, un cabinet de curiosité, une céleste bibliothèque, où nous ne serions pas surpris d’y croiser quelques saints oubliés, des visionnaires, des cartographes, mais aussi Voltaire, Jules Verne, André Breton ou encore Borges le voyant visionnaire, et dans un coin le regard d’une girafe. La girafe d’Éric Poindron dite anciennement camélopard et camélopardalis, ne manque ni d’attraits, ni de répondant. Un cirque s’installe dans l’enfance familiale de l’auteur et elle est là ! Il ouvre l’ouvrage d’un érudit voyageur, elle se taille la part belle !
Comme d’ailleurs la licorne, qui vit dans la région des Montagnes de la Lune. Et tout porte à croire que les deux fabuleux animaux se soient un temps croisés, comme ils ont croisé l’enfance de l’écrivain. Les cirques conteurs d’histoires et montreurs de bêtes merveilleuses s’invitent chez Poindron, comme chez Jacques Tati, son élégant prédécesseur. Les cirques où parfois sommeille une girafe – « Approchez ! Vous allez voir des choses que l’on ne voit qu’au cirque ! Le magicien qui transforme les chats en poule, les girafes tête en l’air, le lama qui fait des bulles de savon, le cheval qui fait des additions compliquées… ». Le rideau s’ouvre souvent sur Lewis Carrol dans les petits livres d’Éric Poindron, qui possède l’art majeur du conte à dormir debout sur ses longues jambes colorées, les oreilles tendues vers le moindre souffle poétique, le moindre mouvement d’une phrase, il passe du cirque au Jardin des Plantes, en un tour de magie. Car Éric Poindron est également magicien, et parfois alchimiste, mais ne le dites à personne !
« C’est Frère Marcel qui me fit découvrir François Levaillant et son Voyage dans l’intérieur de l’Afrique, par le cap de Bonne-Espérance, dans les années 1780, 81, 82, 83, 84, et 85. Une belle édition à mes yeux d’ignorant, je devais la lire sur place. Tous les souvenirs de l’enfance revenaient. Le grenier, les histoires de mon père, les ancêtres. Et comme il me plaisait, ce Levaillant qui croyait à ses rêves et à l’existence des girafes ».
Éric Poindron fréquente fidèlement des défricheurs, des géographes, zoologistes, découvreurs de forêts inconnues et d’animaux inimaginables, montres et prodiges, des aventuriers qui sont les premiers à humer, à inventer des histoires que des chasseurs leur ont peut-être raconté, et l’on y croise parfois une girafe et son ombre. Ils ont pour nom : Antoine Mongez – Moyse est le plus ancien écrivain qui ait parlé de la Girafe, qu’il appelle Chameau-Panthère – Oppien de Syrie – ô toi dont la puissance a revêtu de la robe des panthères cette espèce de chameaux embellie des plus riches couleurs –, François Levaillant, Etienne Geoffroy Saint-Hilaire ou encore André Thevet. Éric Poindron nous entraîne ainsi au Jardin des Plantes, au Sennaar, sur les Côtes de la Mer Rouge, dans quelques rues de Paris où l’on croise Gille Lapouge, dans des livres rares et des boîtes de Pandore, à la recherche de son enfance de girafe, qui baille lorsqu’on l’oblige à rester à l’école. Ce petit livre est un écrin rare, où se blottissent girafes et girafons, un écrin d’enfance, comme une boîte à miracles, à malice, à surprises, une boîte à souvenirs et à plaisirs lettrés partagés.
Philippe Chauché
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