L’oiseleur, Pierre Lepère (par Murielle Compère-Demarcy)
L’oiseleur, juin 2018, 104 pages, 12 €
Ecrivain(s): Pierre Lepère Edition: Z4 éditions
« Et n’étant plus personne / Reconquérir Ithaque », écrit le poète Pierre Lepère dans L’île intérieure, l’un des poèmes constituant le premier volet, Intimité, de son nouveau livre paru chez Z4 éditions, L’oiseleur. Car, « au commencement comme à l’achèvement suffit le Verbe », note Hans Limon dans l’Avant-propos. Suffit effectivement le Verbe, le chant poétique, à celui qui, éternel passant et passager du ciel migratoire, effleure pudiquement mais s’approche tragiquement d’une bribe de ses ailes le cadastre d’humanité, le sien ouvert à l’univers – d’une aile, d’un regard, à l’affût pacifique de ce qui se trame au pays des Hommes et de la Terre. L’oiseleur est ce marchand qui prend les petits oiseaux à la pipée, aux pièges, aux filets. Le poète-oiseleur, pacifiste, capte par le « filet de lueurs » et par ses « stances orphiques » une réalité prise au risque des mots : celui de l’envol, forcément ravissant, à la prise de vue d’envergure, heureuse et/ou malheureuse, l’augure aléatoire dans le ciel quotidien mais augural dans la forêt des signes et des songes emparfumée de brume et de soleils noirs ou de tonicité magnétique à l’instar du sens de l’orientation des oiseaux livrés, corps entier, à l’altitude mystérieuse, énigmatique.
Le sphinx de la poésie n’est pas loin. Ainsi se signe majestueux l’oiseau du poème ; ainsi assigne « l’oiseleur », à itinérances rêveuses et marginales, l’unique et chère « sœur poésie », incarnation d’une « sœur de sang », sa « guerrière d’espoir »dont il écrit la présence en lettres de feu. Le « petit oiseau » chassé, malmené par le destin, se signe devant la « déesse chasseresse » dont il put être une saison le « gibier du dimanche » ; maltraité par un destin qui lui arracha sa sœur jumelle, sirène emportée par « l’ambulance blues » et continuant de verser lame de douleur dans la mémoire à vif du poète recueilli inconsolable devant son Ophélie, « frêle fille du feu couronnée de sanglots » (Ambulance blues).
L’oiseleur atteste de la puissance de la respiration poétique telle une respiration vitale, capable d’aller approfondir dans l’être d’un homme l’intime de l’intime pour le regard des proches : ainsi Violaine Massenet à qui ce livre est dédié et avec laquelle vit Pierre Lepère depuis de longues années déclare-t-elle que les poèmes de L’oiseleur lui « ont révélé des aspects de (son) mari (qu’elle) ne connaissai(t) pas encore ». Ainsi la force appelante de l’expérience poétique ne remuant pas des coups d’ailes dans l’eau, n’agitant pas (ou alors par un effet radicalement salutaire) des miroirs aux alouettes, mais, tout au contraire, dévoilant ce qui était resté dans le lointain chez un proche, éclairant décisivement des recoins tacites, réveillant le « pays d’enfance », des « aveux muets mort-nés »,des « étoiles blanches » de « fleurs d’asphodèles » au fond des souvenirs (L’Adieu adressé à la mémoire de sa mère corse, Anna Decori, par le poète est poème poignant redonnant corps et âme à une « voix d’outre silence »).
Intime, Intermezziet Figures– volets successifs de ce triptyque poétique – résonnent volets communicants sur le corps / le cœur d’un homme offert aux battements de la vie sombre / radieuse dont les yeux mi-clos protègent des anciennes blessures, mais s’entrouvrent toujours pour entendre un claquement d’ailes faucher un instant-tournesol, un frémissement annoncer une « fée(…) aussitôt gorgone »ou la « nuageuse lectrice de silence/ Exilée nue comme le vent ».
Les poèmes de Pierre Lepère ont des accents lyriques capables de sortir des larmes du calice de nos émotions, de mettre dans le mille la flèche du cœur aux corolles tendues pour s’accorder à un timbre de voix et une musique nervalienne, « orphéenne ». Pierre Lepère : Orphée sur sa barque nocturne en route vers une île marginale intérieure, aux rives brûlantes qui n’ont pas encore cependant fermé leurs regards sur le large du littoral : poète escorté par les Bacchantes, transporté « aux portes » même du « délire » (poétique) par la lyre des mots puissamment célébrée :
« Mes mots ont une vie
Plus présente et plus vive
Que la réalité
Sans objet qui m’assaille
Tenir vaille que vaille
Le cap jusqu’à la fin
Du voyage de l’âge
Affronter à mains nues
L’écume du printemps
Et n’étant plus personne
Reconquérir Ithaque »…
Murielle Compère-Demarcy
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