L’Odeur du café, Dany Laferrière
L’Odeur du café, mai 2016, 240 pages, 9,95 €
Ecrivain(s): Dany Laferrière Edition: Zulma
L’odeur du café de Da ! Ce café qu’elle offre à tout ceux qui passent et parlent un moment avec elle, son petit-fils − l’auteur lui-même alors âgé de 10 ans − est devenu un puissant marqueur du temps qui passe et que les mots rattrapent au vol. Livre de souvenirs pleins d’images et de récits d’enfance, sorte de Petit Nicolas haïtien dont la meilleure « justification » – mais a-t-on besoin de justifier la mémoire et la nostalgie de ce qui fut – est donnée par l’auteur lui-même à la clôture de cet album.
J’ai écrit ce livre pour toutes sortes de raisons.
Pour faire l’éloge de ce café (le café des Palmes) que Da aime tant et pour parler de Da que j’aime tant.
Pour ne jamais oublier cette libellule couverte de fourmis.
Ni l’odeur de la terre.
Ni les pluies de Jacmel.
Ni la mer derrière les cocotiers.
Ni le vent du soir.
Ni Vava, ce brûlant premier amour.
Ni Auguste, Frantz, Rico, mes amis d’enfance.
Ni Didi, ma cousine, ni Zina, ni Sylphise, la jeune morte, ni même ce bon vieux Marquis.
Mais j’ai écrit ce livre surtout pour cette seule scène qui m’a poursuivi si longtemps : un petit garçon assis aux pieds de sa grand-mère sur la galerie ensoleillée d’une petite ville de province.
Bonne nuit, Da !
Album plus que récit ou roman par sa composition même : de courts « chapitres » comme autant d’images extraites d’un album-photo qui éveillent et réveillent mille histoires du quotidien. Un album où les couleurs des images sont peut-être un peu passées, virant doucement vers un sépia qui pourrait finir par tout confondre, mais qui est surtout album d’histoires qui se content et se racontent d’elles-mêmes. L’écriture condensée prend parfois des allures de haïku par son art de dire beaucoup avec très peu de mots, par sa façon de faire résonner les silences de la mémoire. Les mots et les phrases, les dits de l’enfance reviennent avec une infinie bienveillance qui n’interdit ni l’ironie ni les rires ni les colères ni la tristesse.
LE NEZ
D’après Zette, il paraît que Galbaud se laisse mener par sa voiture.
– Sa femme l’a toujours mené par le bout du nez aussi, Da.
– Une auto n’est pas une femme, Zette.
– Oui Da, mais un homme reste toujours un homme.
– C’est vrai, ça.
Alors au début de sa carrière d’écrivain (L’Odeur du café est publié pour la première fois en 1991 à Montréal, comme la quasi totalité de son œuvre), de raconteur, Dany Laferrière plonge dans sa mémoire, au début des années 60 en Haïti, précisément en 1963, pas très loin de Port-au-Prince, à Petit-Goâve où il a grandi. Un album éminemment personnel donc, mais où l’on se sent accueilli, où nous pouvons nous attarder à écouter les histoires de chacun et la philosophie de Da, son regard sur les choses les plus ordinaires de la vie. Un café, un moment à s’attarder en faisant attention à ne pas bousculer Marquis, le chien qu’une voiture a blessé et qui depuis en veut à tous les pneus, voitures ou camions. Il se pourrait alors que l’on voit passer, sur sa bicyclette, le docteur Cayemitte qui sent l’iode et ne sait pas s’il va voir son vieil ami, sa clinique ou un malade. Ou alors Camelo, le gardien de but, star de l’équipe de foot locale, l’Aigle noir, entouré de ses fans, garçons et filles.
Images après images, histoire après histoire, personnage après personnage, le monde de Petit-Goâve nous devient familier, résonnant peut-être avec nos souvenirs de lecteurs, d’ailleurs et d’un autre temps et l’on a bien envie de goûter, ou au moins de sentir le café de Zoune qui semble presque magique. Ce café rituel qui peut faire parler mais qui permet surtout de faire silence quand les mots ne savent pas dire, quand il risquent de devenir inutiles, voire néfastes.
Da m’a pris le sachet des mains, l’a ouvert et est restée longtemps à respirer le café. Elle m’a regardé et a souri avant d’en prendre une pincée pour la déposer sur sa langue.
Da a fermé les yeux.
La crainte de l’auteur, mais que nous partageons un peu plus au fur et à mesure que le temps passe, est que les choses finissent par disparaître. Ce qu’elles feront sans doute, mais il n’est pas inutile de les retenir encore un peu. L’histoire, elle, continuera, et l’auteur y reviendra dans d’autres livres, avec des drames qui ne sont pas encore entrés dans l’histoire de Vieux Os. Il s’agit déjà de sauver ce qui peut l’être et qui a existé, survécu, sans se perdre, sans renoncer à vivre mais quand cela devient difficile.
Selon Da, on est vraiment mort quand il n’y a plus personne pour se rappeler notre nom sur cette terre.
C’est aussi cela la littérature. Une façon de vivre plusieurs fois, dans plusieurs mondes, dans plusieurs temps et de prolonger le passé, mais aussi le présent et sans doute l’avenir, jusqu’à ce qu’ils dépassent le temps.
Un autre silence. Da aspire une bonne bouffée d’air, se cale encore plus profondément dans sa chaise et ferme, un bref instant, les yeux.
– Veux-tu une tasse de café, Augereau ?
– Avec plaisir, Da.
Augereau respire le café un bon coup avant de prendre sa première gorgée. Le reste, c’est l’affaire du temps.
Marc Ossorguine
Les éditions Zulma ont également publié, de Dany Laferrière, Le cri des oiseaux fous (2000) en 2015, Le charme des après-midi sans fin (1997) en 2016. Mythologies américaines est récemment paru aux éditions Grasset.
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