L'obscur travaille, Henri Meschonnic
L’obscur travaille, Ed. Arfuyen, Janvier 2012, Paris-Orbey, 98 p., 9 €
Ecrivain(s): Henri Meschonnic Edition: ArfuyenComment parler de la poésie sinon en faisant suivre les citations jusqu’à l’instant où il paraît possible que le poème se fasse entendre ? Pour ma part, j’ai toujours trouvé difficile d’écrire sur l’œuvre d’un poète, parce qu’il y a un feuilletage typique à la poésie, une épaisseur que l’on connaît, à la lecture, mais que n’arrive pas à rendre le flot continu de l’escorte du discours critique.
Cependant, rien n’empêche d’essayer. Et pour le cas présent avec le recueil d’Henri Meschonnic, L’Obscur travaille, publié cette année par l’éditeur Arfyuen, l’occasion est bienvenue. Et pour pallier aux questions que je soulevais dans mon introduction, j’ai pensé, un moment, faire une lecture approfondie du Meschonnic critique, qui œuvrait depuis 1970 dans le champ de la réflexion sur la littérature et la philosophie, en allant vers ses livres successifs autour de la poétique. Mais pour finir, et pour affronter seul à seul le silence et la quasi nudité des poèmes de cet ultime recueil, j’ai choisi la voie la plus simple, et j’ai lu, espérant pouvoir m’allier assez à l’auteur pour porter un peu de lumière sur les poèmes, sinon, sur la poésie.
Silence, donc, raréfaction des images, peu ou pas de couleurs ou de métaphores, et pour finir une impression de pas dans la neige – deux pieds de neige sur le plancher écrivait Kerouac –, d’une empreinte, laissée par un absent, de la nudité, du soustraire, la recherche d’une quintessence, d’une voix de dedans presque sourde car ténue, labile.
Par exemple, la figure de l’arbre, dont il est souvent question, et qui revient aussi sous l’aspect du nœud. Est-ce l’évocation de la fabrication des fibres plutôt que la beauté d’un feuillage d’octobre que cherche l’auteur ? Ou encore dans la nodosité, l’enlacement des fils ? Bien plus, disons, comme point où la tige est entée, ce qui ouvre sur une idée importante du Nouveau Testament – et nous savons que Meschonnic a traduit la Bible à différentes reprises. C’est cette pièce nouvelle au manteau, ce vin jeune qui demande un petit vase nouveau, que je vois, mais tout touché par la brièveté des vers, leur caractère concis en quelque sorte.
Voyons encore, le ciel, le rapport du poète au ciel, aux nuages aussi. On y tend à la dématérialisation, parce que justement tout est extrêmement nu. Même chose encore pour le degré de silence, bizarrement, du poème, qui souligne d’abord ce qui manque, ce qui est absent, ce qui doit venir aussi, la promesse. Donc, non pas du bruit mais l’appel en dedans de soi, pour l’articulation d’un langage, d’une langue. Donc, un acte de communication, voire d’offrande. Car tout est tourné vers l’autre, ce fameux autre soi-même.
On pourrait voir une sorte de cantique, le chant pour la présence, le témoignage de l’amour pour le prochain, pour refaire l’unité.
chaque passant et passante
vit en moi
quelque chose que je ne sais pas
change en moi
s’augmente en moi
c’est ma foule en moi
des flots de moi à sentir
sentir
Et, j’avais à l’esprit, et de mémoire, ce poème de Guillevic : Dans la rue/ des regards/ sacrifient/ des regards. C’est donc çà l’école de la retenue, du sobre, de la tension intérieure, du face à face.
Par ailleurs comme avancée dans notre étude, et cela frappe tout à fait, l’emploi de l’intransitivité, des verbes d’exister ou de mouvement ; donc, un soi qui n’a pas d’objet, qui n’a pas de transitivité. Il y a à mon sens une attitude, disons, morale, dans cette conduite qui va vers l’absent, qui dérobe le soi pour l’autre soi-même. Car c’est une construction intellectuelle, certes, mais qui s’épaule sur la vie elle-même, et dont le poème témoigne, c’est évident. Comme l’épaulement d’une absence, la continuité de soi dans l’objet absent.
Faire ensemble avec le ciel, pour revenir à notre idée, c’est être absorbé, dilaté, et en même temps rendu à soi-même ; le monde est nôtre parce que, augmenté de signes, plus large que soi et qu’ainsi, le langage est petit, modeste, clair, presque diaphane.
je fais du feu
quelque chose de moi
est dans ce feu
la flamme me monte
ce feu c’est mon image
c’est pourquoi je me regarde
dans ce feu
C’est la fusion, la combustion, le vrai feu cette fois-ci, qui envahit le poète – de mémoire encore une fois ce vers de Michaux Je cherche un être à envahir –, et cela parce qu’il n’y a pas de transitivité, et que l’objet doit être approprié, capturé, et rendu à la vérité, en soi ; le feu, donc, qui brûle dans le for intérieur.
Et les exemples suivent : parce que tu entres en moi (p. 83) ; le bleu est en moi (82) ; je deviens l’arbre/je deviens l’oiseau (p. 80) ; je bois le temps (p. 76). Absorption, nature fiévreuse des images, et d’autant plus à même, que tout est dépouillé, presque minimal, comme les derniers grands monochromes d’Aurélie Nemours. Donc un monde sans images, iconoclastique en ce sens, où les mots s’épurent, deviennent comme des pointes. Oui, extrêmement nus.
Didier Ayres
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