L’Invitation à la valse, et Intempéries, Rosamond Lehmann (par Stéphane Bret)
L’Invitation à la valse, et Intempéries, Rosamond Lehmann, Belfond Vintage, octobre 2020 (235 pages, et 511 pages), 14 €
Edition: Belfond
Rosamond Lehmann, romancière britannique ayant quasiment traversé le XXe siècle, est une importante figure de la littérature de son pays. Proche du groupe de Bloomsbury dont une certaine Virginia Woolf faisait partie, elle étudie la littérature anglaise à Cambridge, possibilité peu offerte aux femmes à cette époque. Deux de ses romans, L’Invitation à la valse, et Intempéries, sont significatifs de son parcours.
Dans L’Invitation à la valse, nous assistons au déroulement de la jeunesse et au sortir de l’adolescence d’Olivia Curtis, une jeune fille de bonne famille. Olivia vit à Little Compton, localité de l’Angleterre où tout le monde se connaît, partage souvent les mêmes fréquentations. Le jour de son dix-septième anniversaire, Olivia reçoit des présents qui la comblent : un billet de dix shillings, un chérubin de porcelaine et un ruban de soie, ce dernier cadeau provoque en elle une grande joie. Olivia Curtis doit bientôt assister au bal organisé chez lord et Lady Spencer, un couple appartenant aux notabilités locales, dont l’appréciation peut être précieuse pour entrer dans le monde et trouver un fiancé.
Pour situer cette étape de la vie d’Olivia, Rosamond Lehmann nous brosse avec force détails le décor de vie d’Olivia, ses antécédents familiaux, tout ce qui a du prix pour elle dans l’Angleterre des années vingt, à peine remise des affres de la Grande Guerre : « Quelque chose donnait à Olivia le désir de se rappeler tout cela, de le garder pour ainsi dire (…) Des voiles d’illusion semblaient flotter sur ce lieu familier, le cachant et le révélant à demi sous un aspect éternel ».
Une autre source de repères, c’est bien sûr la famille d’Olivia, la vision de ses parents : « Papa était athée, à tel point que la vision d’un homme d’église l’exaspérait ». Elle évoque sa mère qui réprimande James, son frère, à l’occasion d’un propos déplacé. Pourtant, Olivia, par son éducation, ses lectures, ses capacités de réflexion personnelle, s’interroge sur ce monde, son monde : « Pourquoi aller à ce bal ? Quelle idée ! Pourquoi tant souffrir ? Être dépaysée, négligée, ignorée, examinée curieusement ».
Le bal chez les Spencer donne l’occasion à Olivia de faire connaissance du fils de la famille Rollo Spencer qui la séduit. Cette rencontre ne débouche sur rien de tangible, mais dix ans plus tard Olivia rencontre Rollo dans un train qui la ramène chez ses parents. Elle a mûri, s’est séparée de son époux sans conclure un divorce, elle a pris de l’épaisseur humaine. Rosamond Lehmann, sans exposer un catéchisme féministe, met très graduellement en évidence les étapes de l’émancipation, d’abord intérieure, d’Olivia, puis sociale, affective ; ainsi se permet-elle de voir en catimini son amant Rollo dans des auberges de la campagne anglaise, le sommet de la félicité étant atteint lors d’un voyage à Salzburg en Autriche. Olivia tombe enceinte, avorte dans des conditions que l’on imagine à cette époque : cruelles, dramatiques et traumatisantes. Pourtant, lors des retrouvailles des amants avant leur séparation finale, ces derniers réévaluent cette période comme une ouverture vers la liberté, un grand bonheur. Rollo conclut « Que c’était amusant, tout cela, n’est-ce pas chérie ? ». Sans partager l’ironie finale de Rollo, le lecteur éprouvera une certaine complicité avec Olivia, pour simplement avoir osé entamer un processus conduisant peut-être vers une forme d’émancipation.
Romans d’apprentissage, sans doute, romans féministes, oui mais de manière très suggestive, indirecte. A noter une technique d’écriture : celle de décrire après une réplique ce que pense la personne qui vient de l’énoncer, et qui permet de pénétrer la vie intérieure des personnages qui dialoguent.
Stéphane Bret
Née en 1901 et morte en 1990, Rosamond Lehmann est une grande figure de la littérature anglaise. Proche du Bloomsbury group, elle s’est rendue célèbre en 1927 lors de la parution de Poussières, son premier roman, une évocation assez osée de la mélancolie adolescente. L’Invitation à la valse (1932) et Intempéries (1936) connaîtront le même succès en Angleterre mais aussi en France. Ce diptyque a déjà fait l’objet d’une réédition en 1982 aux éditions 10/18.
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