L’Intrusive, Claudine Dumont (par Guy Donikian)
L’Intrusive, Claudine Dumont, aout 2021, 377 pages, 24 €
Edition: Le Mot et le Reste
« Depuis bientôt deux mois, je ne dors presque plus. Des journées entières sans une seconde de sommeil et quelque chose en moi est sur le point de se briser. Je regarde le psychiatre devant moi. Regarder me fait mal ».
C’est Camille qui parle, atteinte d’un mal-être, aux sens physique et psychique du terme. Ce mal-être, c’est son manque de sommeil et ce sont des incompétences successives de médecins qui vont la conduire chez Gabriel. Camille veut tout essayer, elle est prête à tout. Mais si Camille veut retrouver le sommeil, c’est pour revoir sa nièce, Jeanne, qu’elle ne voit plus en raison des conséquences de sa « maladie ». Jeanne est la fille du frère de Camille, une enfant de qui elle était très proche, jusqu’à un incident qui fera cesser toute relation entre la nièce et sa tante.
Gabriel est recommandé à Camille par son frère Laurent. Le frère et la sœur sont très proches, et Laurent veut tout faire et tout tenter pour la guérison de Camille. Gabriel a une machine qui permet de sonder sommeil et rêves, et c’est un peu à contrecœur que Camille va accepter.
Les différents personnages sont en place, et Claudine Dumont va construire son récit comme on mène une enquête. La progression se fera progressivement, l’auteure utilisant deux entrées pour nous donner les éléments d’un puzzle qui conjugue un présent où rêves et réalité sont habilement mêlés et un passé qui va éclairer la teneur des rêves que Gabriel s’ingénie à déchiffrer. Sa machine permet de visualiser les images des rêves, leur explication, elle, nécessitera une introspection que Camille fera à l’aide de Gabriel.
Le passé de Camille se construit ainsi par touches successives, une enfance auprès d’une mère qui oblitère sa fille de contraintes qui vont fragiliser un mental pour longtemps. Cette mère qui va donner à Camille l’image d’un monde d’absolues contraintes, qui rendent indispensables des comportements de distanciation vis à vis de tout ou presque. Être sur la défensive devient alors une attitude adoptée pour tous les aspects de la vie. Et pour Camille, la notion de plaisir, qu’elle va retrouver in fine, lui est étrangère tant la prégnance maternelle est importante.
Le passé de Camille est ainsi convoqué, et d’un chapitre, qui relate les moments de sommeil paradoxal alors qu’elle est branchée à la machine, à un chapitre suivant qui relate les strates de son éducation contrainte par sa mère, le puzzle prend forme en même temps que Camille inscrit dans sa conscience claire les éléments enfouis qui se font jour.
L’intérêt du texte réside dans cette construction progressive habilement menée, les chapitres se succèdent pour expliciter progressivement un état, habileté aussi quand l’auteure nous entraîne dans les rêves de Camille auxquels sont mêlés, de façon d’abord inextricable, les éléments du réel.
Ce sont plusieurs niveaux de lecture qui sont ici possibles, celui d’une enquête intime, celui d’une vision pessimiste de la famille, celui encore de l’importance du plaisir. Et d’autres sont sans doute possibles.
Guy Donikian
Claudine Dumont, originaire de Laval au Québec, a étudié la littérature et la psychanalyse. Elle enseigne le français au secondaire.
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