L’Initié, Thibault Biscarrat (par Didier Ayres)
L’Initié, Thibault Biscarrat, éditions Ars Poetica, 2022, 90 pages, 18 €
Mutité
Comme un mouvement immobile, c’est-à-dire un trajet dans le poème immobilisé, la voix poétique de Thibault Biscarrat détermine ici un sujet spirituel. Il s’agit pour le poète d’être présent, plutôt de rendre présent, de cheminer en contemplant, en méditant, pour être gagné par la force des paysages parcourus, par tout l’enseignement de l’habitation spirituelle qui en découle. Ainsi, Dieu est présent, surlignant les arcanes théologiques. On pourrait sans doute y voir le travail des jardiniers zen, qui dès le Japon médiéval, connaissaient le lien entre matière et esprit, l’importance du cheminement sur du gravier, des pierres plates ou des dalles. Est-ce une conception poétique propre à définir ? un Pantocrator agreste ? Pour moi, cela m’irait parfaitement.
Il faut donc suivre le poème comme on marche ; être sensible aux taches de lumière autorisées par les feuillages ; chercher la diffraction des éclats du soleil sur les eaux noires des torrents ; œuvrer sa propre vision mystique.
Le monde surgit dans le dire du poète, dans la langue du poète. Et le vent de charrier ses prières, ses versets. Je veux vivre au plus près du dieu qui se retire. Je couvrirai mon visage de cendres.
Il ne faut finalement que peu d’images pour décrire cette présence. Et la prose poétique qu’utilise T. Biscarrat est propice à ce genre d’exercice. Elle permet au poète de saisir le réel, davantage que le chant, serrer l’univers intérieur sans fragmentation. On piétine dans les épithètes, on voit le caractère sacré de peu de mots essentiels, on saisit l’existence d’une entité supérieure, on côtoie l’énigme du Verbe, on balance calmement dans une écriture blanche.
Tu devras tout dire, façonner les mots, cueillir les fleurs d’un amour suave dans ce verger d’éclairs. L’humilité, l’incertitude demeurent. Tu connais les changements, les mystères. Toutes choses créées s’en retournent à la lumière.
C’est dans l’espace d’accueil du Verbe en son entier que nous lisons ce recueil bien rythmé. On devine l’intelligence des éléments de la nature, l’importance des sables, de la forêt, juste assez resserrée pour contenir un mode uniquement minéral ou végétal, donc sans presque de présence humaine hormis le poète qui écrit, le geste d’écrire la gestique de la nature.
On peut, en un sens, rapprocher ce livre de certains recueils de Charles Juliet qui, lui aussi, est pauvre en mots et pauvre en images, mais dont la pauvreté souligne l’essence de la présence de soi, sa quintessenciation. On y est comme suffocant, en asphyxie, et on continue de lire dans ce réseau d’expressions minimales, un peu comme dans un système de notes de musique répétitive. C’est la mutité, le pur pli du poème, le silence qui est désiré. Musique du silence, si l’on veut.
Didier Ayres
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